mercredi 16 juin 2010

Jeunesse (Joseph Conrad)

C’est pas l’homme qui prend la mer …

C'est avec Au bout du rouleau qu'Olivier le marin nous avait fait découvrir Joseph Conrad ce polonais né en Ukraine qui vécu à Marseille et qui écrivait en anglais.
Un homme de voyage, citoyen du monde comme tous les marins, il en était un lui-même pour s'être engagé dans la marine marchande britannique.
Revoici cet auteur qui vécut à la charnière entre les deux siècles et qui influencera les plus grands comme Faulkner, Gide ou Malraux.
L'édition originale chez Gallimard(1) fait suivre la première nouvelle, Jeunesse, d'un second récit : Au cœur des ténèbres. Deux récits de voyage autour d'un même personnage récurrent : Marlow.
Jeunesse raconte un court périple : le premier voyage du jeune Marlow, le dernier du vieux rafiau sur lequel il a embarqué.

[...] - Oui, j'ai bourlingué pas mal dans les mers d'Extrême-Orient : mais le souvenir le plus clair que j'en ai conservé, c'est celui de mon premier voyage. Il y a de ces voyages, vous le savez vous autres, qu'on dirait faits pour illustrer la vie même, et qui peuvent servir de symbole à l'existence. On se démène, on trime, on sue sang et eau, on se tue presque, on se tue même vraiment parfois à essayer d'accomplir quelque chose, - et on n'y parvient pas. Ce n'est pas de votre faute. On ne peut tout simplement rien faire, rien de grand ni de petit, - rien au monde, - pas même épouser une vieille fille, ni conduire à son port de destination une malheureuse cargaison de six cent tonnes de charbon.

http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifLe navire fait eau de toutes parts (on assiste à plusieurs faux départs avant qu'il soit à peu près étanche), il doit affronter tempêtes et cyclones, les équipages successifs refusent d'aller plus loin, la cargaison de charbon finit par s'enflammer, et même les rats avaient préféré débarquer avant que cette presqu'épave soit prête à larguer ses amarres !
L'arrogante et invincible jeunesse de Marlow aura-t-elle raison de l'adversité ?

[...] Je n'avais pas su jusque-là à quel point j'étais pour de bon un homme. Je me rappelle les visages tirés, les silhouettes accablées de nos deux matelots, et je me rappelle ma jeunesse, ce sentiment qui ne reviendra plus.

Si vous ne connaissez pas encore cet auteur incontournable à ranger parmi les grands classiques, n'hésitez pas un instant : cette petite nouvelle (Jeunesse) est parfaitement construite. Un point d'entrée idéal dans la langue noble et riche de ces histoires au parfum surrané d'une époque (littéraire et aventureuse) révolue.

Au cœur des ténèbres est une histoire plus complexe, plus longue et plus difficile aussi : une aventure coloniale le long du fleuve Congo. Une aventure dantesque, quelque part entre l'Aguirre d'Herzog et l'Apocalypse Now de Coppola. À la poursuite des ténèbres de l'Afrique Noire (on est en 1900 !), les ténèbres qui sont au plus profond de chacun de nous.

(1) : ce n'est pas le cas en poche chez Folio où seul le premier récit (le plus "facile") est publié.


Pour celles et ceux qui aiment les portraits de marins.
Folio édite en poche les 88 pages de Jeunesse, qui datent de 1902 en VO et qui sont traduites de l'anglais par G. Jean-Aubry et André Ruyters.
Anne-Françoise parle du Cœur des ténèbres. Critiques Libres parle de Jeunesse.

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