samedi 12 juin 2010

Seul le silence (Roger Jon Ellory)

Le souffle des marais de Georgie.

C'est Livre Sterling(1), notre libraire préféré (un de nos rares libraires qui ne soit pas en ligne) qui mettait en avant ce bouquin, ou plutôt la nouvelle livraison de Roger Jon Ellory : Vendetta.
Pour débuter avec cet auteur britannique de polars, on a d'abord opté pour la version poche de sa précédente traduction : Seul le silence(2).
Oubliez vite l'étiquette polar et ne retenez que celle de best-of  !
Seul le silence est un GRAND roman(3).
C'est écrit par un anglais mais on jurerait du Truman Capote (à qui ce livre est dédié d'ailleurs), du Faulkner ou du Steinbeck, si, si.
On y retrouve ce souffle des grands écrivains américains, de ceux qui savent raconter une histoire. Rien de moins que l'histoire de la vie, la dure et la vraie vie.
À cette lecture on ne peut qu'évoquer ces auteurs US perdus dans les vastes étendues sauvages de l'Ouest.
Sauf que R. J. Ellory a grandi à Birmingham même si son histoire se passe dans les États du Sud, en Géorgie.
Alors tout commence dans un bled perdu, au bord du marais d'Okefenokee et de la Suwanee River.
En 1939, au moment où le Monde bascule peu à peu dans l'horreur.
Mais c'est une horreur différente que connaîtra le petit comté de Charlton, Georgie : une fillette est retrouvée assassinée. Plusieurs suivront.
On accuse bien sûr les noirs sortis de leurs champs de coton, c'est encore l'époque.
Et puis un colon allemand, ce sera l'époque aussi(4).
Mais c'est aussi un livre sur la littérature, ou plus exactement sur l'écriture, quand lire est une raison d'être et quand écrire est un besoin vital : l'histoire d'un jeune garçon qui noircit des cahiers sous l'œil bienveillant de son institutrice.
Un jeune garçon dont l'adolescence et finalement la vie vont être façonnées par ces ignobles crimes.

[...] La cinquième victime fut la petite fille qui était assise à côté de moi dans la classe de mademoiselle Alexandra Weber. Elle était si proche que je connaissais son nom, que je savais qu'elle dessinait le chiffre 5 à l'envers. Bon sang, elle était si proche que je connaissais son odeur.
On retrouva son corps le lundi 3 août 1942.
L'essentiel de son corps, pour être précis.

Mais vous l'avez compris l'histoire policière passe au second plan(5) : ce qui intéresse Ellory c'est le parcours de son jeune héros, écrivain en herbe, meurtri par la vie et bouleversé par les morts de ces petites filles. Et c'est ce qui fait la force et l'intérêt de son roman.
Bien sûr, à la toute fin on saura derrière qui se cachait l'affreux, mais ces ultimes péripéties seront somme toute un peu convenues sinon décevantes : ce bouquin vaut essentiellement par sa longue première partie (fort heureusement, y'en a quand même pour deux bons tiers du pavé).
On l'a dit, R. J. Ellory fait partie des grands qui savent raconter une histoire. Une grande comme des petites.

[...] Un jour j'avais entendu une histoire. L'histoire d'un garçon que son père menaçait éternellement de battre. Le garçon n'était pas plus épais qu'un piquet de clôture, et il avait peur. Il ne se voyait pas faire face à une raclée si généreuse, car son père était bâti comme un arbre, le genre d'arbre qui est toujours debout après un ouragan. Alors le garçon s'était mis à courir. Chaque jour. Il allait à l'école en courant, il rentrait chez lui en courant, il faisait trois ou quatre fois en courant le tour du champ près de sa maison avant le dîner. Sa mère croyait qu'il avait perdu la tête, ses frères et sœurs le charriaient. Mais le garçon avait continuer à courir, exactement comme Red Grange lors de ses courses folles. Plus tard, le docteur avait dit qu'il avait un "cœur d'athlète", développé par ses efforts continus. Plus tard, ils avaient dit beaucoup de choses. Apparemment le cœur du garçon avait lâché. Pour ainsi dire explosé. Il s'était tué à fuir la chose qui l'effrayait. Ironique, mais vrai.

Alors si vous ne lisez qu'un seul nouvel auteur cet été, que ce soit R. J. Ellory !

(1) : avenue Franklin Roosevelt à deux pas des Champs, le libraire qui, avec son étal sur le trottoir, a inventé le concept du street-blog : les bouquins sont affublés de petits billets du genre "j'engage ma réputation sur ce bouquin !" (ça, c'était le billet épinglé sur les Chaussures Italiennes, celles de Mankell ! Monsieur a le goût très sûr !)
(2) : en réalité Vendetta date de 2005 en VO et Seul le silence de 2007 - les traductions françaises sont inversées : Seul le silence en 2008 et Vendetta en 2009.
(3) : bon, MAM trouve que j'exagère un peu - un petit peu.
(4) : on découvre d'ailleurs la guerre à travers un prisme original : les exactions nazis vues d'un petit comté lointain du sud des US.
(5) : BMR s'était montré un peu réticent sur la 4° de couv, ne prisant guère les histoires d'enfants martyrisés : heureusement, Ellory ne montre aucune complaisance sur ce sujet.


Pour celles et ceux qui aiment les romans américains, même s'ils sont écrits par des anglais.
C'est Le livre de poche qui édite ces 602 pages parues en 2007 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Fabrice Pointeau.
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