samedi 21 avril 2012

Un safari arctique (Jorn Riel)

Lectures givrées.

Ici même, on avait déjà parlé de Jørn Riel (il y a ... cinq ans déjà !).
Le nouveau petit bouquin que l'on vient de lire est de la même veine : Jørn Riel nous raconte des histoires invraisemblables venues du fin fond des terres glacées du Groënland.
Avec un tout petit peu moins de cocasseries potaches que dans le précédent ouvrage, Un safari arctique est un recueil de nouvelles, de racontars comme le dit l'auteur, truculentes, savoureuses, hénaurmes, ... à la dimension des landes désolées du pays.
Jørn Riel maîtrise parfaitement l'art de raconter une histoire. Et le plus souvent, il met en scène un personnage qui lui-même, se fait conteur pour ses compagnons. Cette mise en abyme est également celle du gars qui raconte l'histoire du gars qui lui a raconté ...
À chaque étape ou étage, l'histoire est, comme il se doit entre gens de bonne compagnie, embellie, enjolivée. Les fanfaronnades deviennent encore plus exagérées et les invraisemblances encore plus vraies. Si Tartarin n'avait pas été de Tarascon, il eut été de Fimbul ou de Bjørkenborg assurément.
L'histoire d'Emma par exemple, est extraordinaire : à plusieurs reprises, Jørn Riel nous donne le fin mot de l'affaire, la clé de l'histoire, mais non, rien n'y fait, comme les chasseurs du Groënland on a tellement envie de croire à cette jolie histoire qu'on se laisse emporter au fil des quelques pages et on se laisse surprendre par la chute qu'on nous avait pourtant déjà dévoilée. Chapeau !

Emma voyageait beaucoup. Elle se déplaçait de fjord en fjord, de cabane en cabane et de couchette en couchette. Dans certains endroits, son séjour était bref, dans d’autres, il pouvait durer des mois. Malgré les nombreuses expériences de toutes sortes, elle restait douce et candide, comme le jour où elle avait jailli de l’imagination de Mads Madsen. Ses joues de beignets aux pommes rougeoyaient comme le soleil d’août chaque fois qu’on lui présentait un nouveau fiancé, et ses yeux d’un bleu de glacier brillaient d’impatience en attendant que les négociations, après beaucoup de vives discussions, aient pris fin. La vie dans le nord-est du Groenland devint vite aussi passionnante pour Emma que pour les chasseurs. Les mois passèrent. Moins d’un an s’était écoulé qu’elle avait déjà fait le tour de la côte plusieurs fois. Elle passa le mois d’hiver le plus froid chez Valfred dans la Cabane de Fimbul. Ce fut pour la jeune fille une sorte d’état d’hibernation. Une longue période de repos dans la couchette supérieure de la cabane. De bon coeur, Valfred l’avait reprise au Comte qui, par erreur, l’avait achetée à Herbert contre douze bouteilles de vin à étiquettes et la moitié de la récolte de pommes de terre de l’année suivante.
– Est-ce qu’elle est pas un peu du genre olé olé ? demanda Fjordur, sentant à nouveau le doux bourdonnement sous les hanches.
– Emma change de partenaire comme nous autres nous changeons de chemise, avoua Siverts, c’est-à-dire à peu près une fois par mois.

La nouvelle qui donne son titre au recueil est également un morceau d'anthologie quand une riche et noble dame s'en vient chasser le bœuf musqué aux côtés de nos rudes gaillards, puants et barbus :

– Hé, hé, j’ai connu un machin comme ça autrefois. Une vraie dame que c’était, hé, hé, mais y a longtemps d’ça. Tout le monde regardait Valfred. Avoir connu une dame, c’était vraiment quelque chose. Peut-être qu’on pouvait profiter des expériences de Valfred.
– Et t’as connu combien de dames ? demanda Herbert.
– Ah, combien, combien ? Ça dépend, répondit Valfred, sibyllin. Il y a donc longtemps de ça, mais d’une façon ou d’une autre on se souvient quand même. Celle que j’ai connue avait un magasin de broderie à Gothersgade, une rue de Copenhague. Elle avait peut-être rien de particulier à voir, mais c’était une jolie petite chose et une dame surchoix. Elle avait une odeur particulière, et je crois que toutes les vraies dames sont comme ça.
– Quel genre d’odeur ? demanda Anton. Il était avide de s’instruire et n’avait que très peu de connaissance en matière de dames.
– Ouais, Anton, comment te faire comprendre ça ? Valfred se gratta la nuque. C’était un peu du genre de la lotion pour les cheveux du Comte, et puis un brin comme quand on fait bouillir du chou. Pas beaucoup, ça ne piquait pas le nez, juste un peu, vous comprenez. C’est parce que les dames, ça se lave tous les jours avec du savon, et après, ça s’asperge avec de l’eau de toilette ou des choses de ce genre.
– Mais le chou ? Anton était désireux d’en savoir plus. D’où il venait ?
– Je suppose qu’il venait de l’intérieur, mon ami, dit Valfred.

http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifQuelques petites nouvelles qui s'enchaînent et se répondent, sans vraiment se suivre mais quand même, qui brodent toute une galeries de portraits de ces chasseurs de peaux venus passer quelques hivers sur la banquise groënlandaise et qui ne repartiront peut-être jamais, trop heureux d'être là, seul(s) et loin de tout.
Dépaysement garanti : Jørn Riel a vécu plusieurs longues années au Groënland dans une base scientifique et désormais, comme le dit son éditeur, il 'décongèle' dans la jungle de malaisie avec en tête, tout plein d'histoires à raconter aux papous.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires tout simplement.
10/18 édite ces 157 pages qui sont traduites du danois par Susanne Juul et Bernard Saint-Bonnet
Blanche-Neige en parle (à qui on a piqué le titre).

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