jeudi 10 octobre 2013

Des illusions (Magnus Montelius)

L’albanais qui n’en était pas un.

Spécial Rentrée Littéraire.
[c’est à la mode, alors on suit !]

Non, Magnus Montelius n’est pas un obscur auteur latin de l’époque romaine mais un écrivain suédois. Expert en environnement, il a vécu dans les Balkans et dans les pays de l’Est avant de s’essayer aux nouvelles et enfin ici, un premier roman : Des illusions.
Le titre original est : L’homme d’Albanie, l’homme qui venait d’Albanie.
Une nuit de 1990, à Stockholm, un homme fait une chute mortelle et la police retrouve sur lui un passeport albanais. S’est-il suicidé tout seul ou l’a-t-on gentiment aidé ?
S’agit-il, comme on voudrait le faire croire, d’un albanais impatient qui n’a pas pu attendre la chute du Mur pour passer à l’ouest ?
Ou plutôt, comme il apparait rapidement, du retour d’un suédois passé à l’Est quelques vingt-cinq ans plus tôt ?
C’est un journaliste qui est aux commandes de l’enquête.
Mais on a beau être dans le milieu de la presse à Stockholm, notre enquêteur n’a rien à voir avec le beau et chic Mikael Blomkvist de Millénium. Non, Tobias Meijtens fait plutôt ici dans le style ‘en attendant mieux : il joue les pigistes la semaine et les chauffeurs de taxi le week-end. Il parcourt les rues de Stockholm à vélo et ne se montre pas tout à fait à la hauteur des attentes de Hanna, sa petite amie.

[…] Au moment de sa rencontre avec Hanna, dix ans plus tôt, il n’avait pas le moindre engagement et ne planifiait rien au-delà d’une semaine. Son travail de chauffeur de taxi le week-end lui assurait un petit revenu régulier, et il jouait parfois comme pianiste dans les bars des grands hôtels, afin de s’en vanter quand on lui demandait ce qu’il faisait comme travail.
Ils avaient lié connaissance dans une fête où il s’était rendu par erreur. Il lui avait débité son discours habituel […]. Elle n’avait pas cru un mot de ce qu’il lui racontait, mais elle avait néanmoins accepté de le suivre chez lui. Aucun des deux n’y voyait plus que l’aventure d’un soir, et ils furent aussi surpris l’un que l’autre en passant de dîners à des petits-déjeuners […].
Elle pouvait sembler trop jeune […] d’une beauté stupéfiante […].
Personne ne douta de ce Meijtens lui avait trouvé, mais les avis divergèrent sur les raisons de son choix à elle.

Alors, cette affaire de l’albanais pourrait bien être le scoop de la carrière de Tobias Meijtens.

D’autant qu’une fois connue l’identité du faux albanais de 1990 et du vrai suédois disparu dans les années 60, le mystère reste encore tout entier ...

[…] - De nombreuses questions demeurent. Sur la cause de sa disparition, tout comme celle de sa durée. Sur les circonstances particulières qui ont entouré son retour.
Wijkman parut réfléchir à un point, avant d’afficher un sourire forcé.
- L’énigme Erik Lindman, s’exclama-t-il.

Bon gré, mal gré, Tobias Meijtens fait équipe avec Natalie, une collègue en vue du journal, une star de la télé déchue au carnet d’adresses bien rempli. Leur enquête les mènent auprès de ceux qui peuplaient les coulisses du pouvoir suédois des années 60 : certains sont toujours en poste, pas forcément du même côté de la ligne rouge qu’à l’époque.
Et bientôt la Sûreté (l’équivalent suédois de notre DST) s’en mêle :

[…] - C’est votre faute. Vous n’avez pas fait preuve de beaucoup d’habileté. On ne peut pas aller voir des personnes de ce calibre, les interroger sur leur comportement durant les joyeuses années 1960, ou sur leur dernier contact avec un ami espion aujourd’hui mort, sans que des problèmes éclatent.
[…] J’ai peur que vous ne soyez tombé sur une affaire extrêmement compliquée. Peut-être même trop pour qu’elle soit publiée dans la presse. En tout cas pas avant de nombreuses années.
[…] L’image collective de la Suède, un pays bon et juste. Une Suède qui conserve sa neutralité entre l’Est et l’Ouest et qui se trouve du côté des faibles.
[…] Est-ce que tout ce que nous considérions sacré et vrai est désormais un mensonge ?

Le bouquin est doublement passionnant : le contexte politique des années 60, la naissance des groupuscules gauchistes, l’isolement de l’Albanie, l’ouverture des pays de l’est vers 1990 (l’Albanie fut naturellement dans les bons derniers), …
On pense au Mankell de L’homme inquiet ou encore à Leif GW Persson.
Et puis il y a le travail journalistique des deux curieux, Meijtens et Natalie : le folklore habituel des salles de rédaction nous est épargné au profit d’un travail patient et minutieux d’enquête consistant à interroger systématiquement les anciens témoins et protagonistes de l’époque, à recouper les différentes sources avec méthode.
Ni experts scientifiques, ni profileurs, ni même 007 suédois.
Peu à peu, au fil des pages et des interrogatoires, tous ces petits à côtés qui émaillent les dialogues finissent par former une ambiance prenante et restituer le lent et délicat travail de l’interview.

[…] Une bourrasque de vent souleva quelques particules du sol. Meijtens ferma les yeux et s’obligea à rester concentré. Il voulait s’assurer de mémoriser les propos de son interlocuteur dans leurs moindres détails.
[…] Tout près d’eux, une mouette poussait de grands cris. Meijtens continua de fixer l’eau et le club nautique. Il avait remarqué que son interlocuteur s’exprimait plus franchement quand ils n’échangeaient pas de regard.
[…] Natalie leur reversa du thé, avec la prudence et la discrétion nécessaire pour ne pas interrompre le récit. Meijtens s’étonna de sa capacité, tel un caméléon, à s’ajuster au rythme et au tempérament de la personne interviewée. Mais seulement si elle le voulait.

Au fil des questions détournées et des réponses fuyantes, on oublie peu à peu l’enquête policière sur le suicidé albanais, on laisse filer en arrière plan le contexte socio-politique des années 60 et on se concentre sur tous ces personnages chez qui, trente ans plus tard, on vient brasser de vielles histoires … Belle et passionnante écriture que celle de Magnus Montelius dans ce roman, mi-polar, mi-espionnage, qui vaut largement le détour par Stockholm.
Il s’agit de son premier roman : reste à espérer et attendre les suivants !
Au-delà des effets de mode, le “polar suédois” a encore de belles pages devant lui.

Ce bouquin nous a été offert par Babelio et les éditions JC. Lattès.


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1 commentaire:

Anjelica a dit…

A découvrir, donc !