vendredi 25 octobre 2013

La mort et la belle vie (Richard Hugo)

Le flic et le poète.

On ne sait plus trop qui nous avait mis sur la piste de Richard Hugo (... avec un nom comme ça) et de son polar La mort et la belle vie, ou plus exactement de son détective Al Barnes, dit Barnes-la-tendresse, car c'est bien le personnage qui tient ici le haut de l'affiche.
Al Barnes est un ancien flic de Seattle qui s'est mis au vert à la montagne dans le Montana (on se rappelle Swan Peak de James Lee Burke et l'évocation de la mythique Lolo Pass que l'on retrouvera fugacement ici sur la route de Missoula).
Si on le surnomme Barnes-la-tendresse c'est parce que ce gros nounours est le plus trop gentil flic de toute la côte ouest. Trop cool, trop sympa.
Lui dans les interrogatoires, il ne “joue” pas au flic gentil : il “est” le flic gentil.
Trop gentil, ce qui lui a d’ailleurs valu de se faire tirer dessus à Seattle et explique sa “retraite” dans le Montana.
En fait il a été muté à la criminelle parce qu'il était incapable de verbaliser les excès de vitesse ou même d’interpeler les braqueurs !

[...] Je n'aime pas les assassinats, moins encore que la plupart des gens. Pour élucider une affaire criminelle, je parviens à puiser en moi un fonds de dureté que les autres délits ne m'inspirent pas.

Le flic des villes est donc devenu un flic des champs mais est resté toujours aussi tendre.
Un personnage particulièrement attachant et l'on se dit que, chouette, on tient là encore le beau début d'une belle série prometteuse.
Sauf que non.
Richard Hugo est un poète (un vrai) qui écrit de la poésie et qui enseigne la littérature. Nous avons donc entre les mains son seul et unique roman : il s'est essayé au polar,  un genre qu'il affectionne tout particulièrement, comme ça, juste pour s'amuser et se détendre (le bougre).
De plus, le bougre n'est plus là et nous a quitté en 1982.
Voilà : gros regret avant même d'ouvrir le bouquin.
Du coup, on attaque cette histoire en savourant chacune de ces pages dont on sait qu'elles seront si peu nombreuses.
Et comme ça démarre super bien, le regret augmente en proportion : un peu de l'ambiance Craig Johnson, celle d'un tandem de flics blanc et indien, un peu de l'ambiance William G. Tapply, celle de la pêche (bon, vite interrompue la pêche, d'accord).
Un humour finaud à la saveur inhabituelle. Tout en douceur, tout en tendresse comme si c'était Al Barnes qui écrivait (ou plus sûrement, comme si Richard Hugo s'était projeté dans son héros).
De l'autodérision, pour les personnages comme pour l'auteur lui-même.

[...] - Hé ! Al ! et laissez cette putain de sirène, okay ? Pourquoi vous la faisiez marcher sur ces maudites routes ? Pour avertir les cerfs de se ranger sur le bas-côté ?"
   Il m'apparut soudain à la fois comique et stupide d'avoir utilisé la sirène sur une route aussi peu fréquentée. Il avait probablement fallu une bonne heure aux conducteurs des rares voitures qui s'étaient arrêtées, pour s'en remettre. C'était ma première affaire de meurtre dans le comté de Sanders. J'avais dû me croire de retour dans les rues de Seattle.

Un polar nature avec des personnages sympas.
Mais un polar quand même puisque dès la page 70, après déjà trois cadavres pas très jolis, nos gentils flics des champs ont déjà arrêté une grande folle qui manie la hache avec un peu trop d'entrain.

[...] J'imagine qu'au dernier moment, il a dû être terrifié par le spectacle de l'immense femme aux cheveux gris et hirsutes qui gloussait cependant qu'elle lui abattait sa hache sur le crâne.

Oui mais comme il reste près de 200 pages, on se doute bien que le troisième cadavre découpé à la hache n'est pas du fait de la grande folle de la forêt.

Barnes-la-tendresse quitte donc ses chers bouseux de la campagne et prend l'avion pour Portland, Oregon : retour à la ville pour enquêter chez les riches et les nantis, à propos d'un ancien meurtre vieux de vingt ans, jamais élucidé et qui pourrait peut-être expliquer le troisième hachis.
Franchement, on aurait préféré rester avec les bouseux à la campagne dans le Montana. La deuxième partie du bouquin se lit sans déplaisir aucun mais ça n'a plus le tout à fait le même charme que les premiers chapitres.
On devine aisément que le poète Richard Hugo a voulu s'essayer aux différents styles de polars et rassembler tout cela dans un même hommage aux grands auteurs du genre. Depuis les indiens du nature-writing jusqu'à la figure archi-classique du privé parachuté dans la haute société un peu décadente.
Ce “à la manière de” est assez réussi (évidemment, Richard Hugo est un pro, il était quand même prof de littérature !), l'intention est très louable mais le résultat finalement pas tout à fait convaincant pour le lecteur : on est un peu sévère mais le tout manque un peu d’unité et finalement de personnalité.
Richard Hugo écrivait de la poésie, Richard Hugo nous a lâché trop tôt, … bref, les amateurs de polars sont frustrés d’un grand auteur et d’une grande série !


Pour celles et ceux qui aiment les gentils flics.
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