vendredi 28 mars 2014

Terminus Belz (Emmanuel Grand)

Polars en l'île (2/3).

Deuxième épisode de notre mini-série intitulée ‘polars en l'île’.
Après L'île des hommes déchus de Guillaume Audru, voici Terminus Belz, d'Emmanuel Grand, encore un polar franco-français, encore un premier roman, et toujours d'après les conseils du Blog 813.
Cet auteur vendéen nous emmène au large de Lorient, dans une petite île bretonne qu'il a choisi de nommée Belz(1).
Belz sera le terminus de la cavale de Marko, un ukrainien passé à l'ouest(2): une odyssée rapide et violente qui se termine mal pour les passeurs roumains et véreux et pas très bien pour les compagnons d'infortune de Marko. Le voici planqué en l'île, espérant échapper ainsi à la mafia roumaine toujours à ses trousses.
Les îliens voient d'un mauvais œil cet ‘immigré’ qui semble venir de l'est pour toucher les allocs et qui se fait passer comme grec pour prendre une place sur un chalutier : l'île n'est pas grande et les poissons se font de plus en plus rares.
Il n'y a finalement que le marin Joël pour prendre Marko en affection, qui a perdu son fils en mer et qui voit peut-être là une nouvelle compagnie pour les sorties en mer.
Il est d'ailleurs pas mal question de pêche, tout comme dans Poisson récemment lu, ce qui nous vaut quelques belles scènes en mer, au rythme des traits du chalut.

[…] Il y avait à Belz de nombreuses maisons touchées par le malheur.  Un malheur qui prenait toujours, quelle qu’en soit la forme, la couleur de l’eau. L’eau trouble, l’eau noir, l’eau déchaînée et hurlante contre ces hommes qui avaient le vœu de la braver chaque jour que Dieu fait pour nourrir leurs familles et gagner leur vie. Et ce corps à corps incessant des hommes contre la mer dans lequel elle remportait un nombre incalculable de victoires faisait partie de la vie d’une île comme Belz. Chaque maison pleurait un père, un fils, un cousin … Et quand elle ne le pleurait pas, c’était qu’elle ne le pleurait pas encore.

Mais le temps va vite se gâter pour Marko : un cadavre est découvert sur une plage, salement mutilé. Un de ceux qui ne voulaient pas trop de bien à notre faux grec. En plus de la mafia roumaine, voilà maintenant que la police française s'intéresse à Marko : Belz n'était peut-être pas la meilleure idée de planque.

[…] J’ai la mafia au cul, les flics aux basques et un crime sur le dos. Moi, je suis dans la merde.

Les esprits s'échauffent sur la petite île qui vit en vase clos et où l'on a vite fait de tourner en rond : les superstitions ressortent du bois, les rumeurs enflent sur la lande, le curé vitupère du haut de sa chaire, les rancœurs macèrent dans l'alcool, la bêtise prospère au café du port ...
Les fantômes du passé débarquent et revoici l'Ankou, un avatar breton de la Grande Faucheuse, qui vient réclamer son dû(3).
On retrouve là une ambiance assez proche (l'humour poétique en moins) de cette fameuse Armée furieuse qui avait été ranimée par Fred Vargas, lorsque les peurs ancestrales et les vieilles croyances viennent maquiller confusément des actes criminels bien d'aujourd'hui.

[…] Il y avait là tout ce qu’ils aimaient, du sang, de la barbarie, de la tragédie humaine.

En dépit d'un démarrage prometteur, MAM n'a pas trop goûté la potion magique.
BMR s'est laissé emporter, sans doute sur la lancée donnée par Vargas.
Le bouquin d'Emmanuel Grand est plutôt bien écrit, une prose professionnelle, même si cela semble un peu formatée au standard actuel et anonyme des polars, mais il faut reconnaître qu'au fil des pages, son scénario devient de moins en moins crédible, tant pour les péripéties rocambolesques de la mafia roumaine que pour le volet mystico-bretonnant.
On déplore aussi quelques clichés qui pèsent un peu lourds dans le filet comme cette inutile romance avec la si charmante institutrice qui n'attendait que notre malheureux et valeureux héros.
On s'exaspère aussi de l'intrusion horripilante d'e-mails dans le récit : encore une fois, quitte à passer pour ringard, on ne comprend pas pourquoi les auteurs contemporains cherchent ainsi à faire pseudo-modernes et soit-disant branchés. À moins qu'il s'agisse là d'une facilité scénaristique un peu paresseuse ?


Au final, il est évidemment bien tentant de trier notre pêche dans le filet et de comparer nos deux épisodes de ces polars en l'île :
Emmanuel Grand est vendéen, Guillaume Audru poitevin, perso on n'a pas d'avis, de toute façon c'est au-delà du périph.
L'île de Stroma existe bel et bien au fin fond de l'Écosse, Belz est une île imaginée plus près de chez nous au large de Lorient. Toutes deux sont joliment décrites avec tout ce qu'il faut d'atmosphère maritime.
L'écriture du vendéen est plus assurée, mieux maîtrisée même si sa prose semble formatée au standard du genre, et on avait regretté chez le poitevin quelques maladresses de premier roman, notamment dans les dialogues.
Mais la victoire aux points reviendra tout de même au scénario de Guillaume Audru : originalité et rigueur étaient au rendez-vous et L'île des hommes déchus sera donc notre destination préférée(4).
En avril, viendra d’ajouter un troisième voyage, en Écosse encore, dans les Hébrides cette fois, avec Peter May sur L’île des chasseurs d’oiseaux.

(1) - pour de vrai, Belz est une petite commune côtière du Morbihan et l'île du bouquin ressemblerait plutôt à l'île de Groix
(2) - si c'est pas de l'actualité ça !
(3) - on l'a déjà croisé quelque part celui-là, mais pas foutu de retrouver où ...
(4) - sans déc' ? t'as vu où c'est ? nan, tu rigoles !


Pour celles et ceux qui aiment la pêche aux fantômes.
D'autres avis sur Babelio. EncoreDuNoir en parle.
Une petite interview de E. Grand.

1 commentaire:

Sandrine a dit…

Oh la, le mystico-bretonnant, très peu pour moi, et la mafia roumaine idem... Je ne lis pas beaucoup de polars français, et celui-là ne me dit rien.