mercredi 26 janvier 2022

L'art de perdre (Alice Zeniter)

[...] L’Algérie de Papa est morte.

Alice Zeniter  nous invite à réviser l'Histoire de l'indépendance de l'Algérie à travers l'histoire d'une famille kabyle : L'art de perdre.
Une famille qui ressemble sans doute beaucoup à celle de l'auteure : c'est le grand-père qui fuira l'Algérie avec femme et enfants, dont le père de la narratrice.
L'auteure met en scène les "événements" de manière un peu artificielle mais didactique : c'est pour ça qu'on est là, la répression sanglante de Sétif, les attentats du FLN, celui du Milk Bar, les discours de Mitterrand (pratique cruelle mais nécessaire !), ...
La partie la plus intéressante est sans doute celle où Ali et sa famille fuient l'Algérie, se retrouvent parqués au camp de Rivesaltes, puis dans un village de l'ONF à l'écart des villages français et enfin dans une nouvelle cité HLM de Normandie près d'une usine qui manque de main d'œuvre : un parcours standard pour ces plus ou moins harkis rejetés de tous bords, par les français comme par les algériens, trop "arabes" pour les uns, pas assez pour les autres.
[...] Le camp Joffre – appelé aussi camp de Rivesaltes – où, après les longs jours d'un voyage sans sommeil, arrivent Ali, Yema et leurs trois enfants est un enclos plein de fantômes : ceux des républicains espagnols qui ont fui Franco pour se retrouver parqués ici, ceux des Juifs et des Tziganes que Vichy a raflés dans la zone libre, ceux de quelques prisonniers de guerre d'origine diverse que la dysenterie ou le typhus ont fauchés loin de la ligne de front. C'est, depuis sa création trente ans plus tôt, un lieu où l'on enferme ceux dont on ne sait que faire en attendant, officiellement, de trouver une solution, en espérant, officieusement, pouvoir les oublier jusqu'à ce qu'ils disparaissent d'eux-mêmes. C'est un lieu pour les hommes qui n'ont pas d'Histoire car aucune des nations qui pourraient leur en offrir une ne veut les y intégrer.
La seconde moitié de ce gros pavé (500 pages) est moins passionnante : on y suit l'intégration de Hamid, l'aîné des enfants d'Ali, un beau et jeune kabyle chargé d'un passé trop lourd qui accède douloureusement au statut d'homme adulte, nous sommes dans les années 70.
Et le lecteur abandonnera peut-être cette trop longue saga familiale lorsque l'une des filles d'Hamid, double ou miroir de l'auteure, montera sur le devant de la scène : une jeunesse contemporaine et parisienne bien trop loin de l'Algérie d'origine.
Un petit désenchantement donc : Alice Zeniter préfère nous raconter sa famille plutôt que ses terres et histoires d'origine.
[...] Une ancienne tradition kabyle veut que l’on ne compte jamais la générosité de Dieu. On ne compte pas les hommes présents à une assemblée. On ne compte pas les œufs de la couvée. On ne compte pas les grains que l’on abrite dans la grande jarre de terre. Dans certains replis de la montagne , on interdit tout à fait de prononcer des nombres.

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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