jeudi 10 octobre 2024

Colère (Arpád Soltész)


[...] Avec des tricheurs, une seule règle compte.

Un polar slovaque bien rugueux qui décoiffe et qui change de nos standards habituels. Arpád Soltész nous plonge en pleine guerre des gangs dans un pays corrompu où il serait vain de chercher à distinguer les gendarmes des voleurs.

L'auteur, le livre (464 pages, mars 2024, 2020 en VO) :

Arpád Soltész est un journaliste de Slovaquie connu chez lui pour ses travaux sur le crime organisé qui a rapidement prospéré à l'Est avec les privatisations sauvages du post-communisme.
Autant dire que nous tenons là un spécialiste de la corruption, des mafias des Balkans, des oligarques et des trafics en tous genres, ...
Un empêcheur de prévariquer en rond dans son pays, qui est obligé de vivre désormais en exil.
Les résultats de ses investigations qui ne peuvent pas trouver place dans ses articles ... il en fait des romans.

♥ On aime :

 Ce polar slovaque va vraiment vous changer de vos lectures habituelles : accrochez-vous, ça décoiffe et c'est plutôt rugueux. Rien à voir avec nos gentils polars de l'ouest, nos histoires pour se faire peur le soir. Immersion au cœur de la pègre d'Europe Centrale. Drogues, putes, mafias, assassinats et corruption à tous les étages. Violence à chaque page, de la part des mafieux comme de la part des flics.
 Et puis l'alcool, comme le sang, coule à flots : à côté du flic Miki qui descend la vodka par bouteilles entières, nos flics imbibés d'Europe de l'Ouest (comme le Jack Taylor de Ken Bruen ou le Harry Hole de Jo Nesbo) feraient figure d'enfants de chœur en train de siroter du vin de messe.
On n'a plus qu'à espérer qu'aucun studio d'Hollywood ne tombe sur ce roman et ne décide d'en faire un scénario : au cinoche, ce serait sans aucun doute insupportable !
 Si Arpád Soltész ne fait guère de concession à nos codes, habitudes ou standards de l'ouest, il est, fort heureusement, largement pourvu d'humour. Une ironie amère et féroce, évidemment, et bien dans l'ambiance de son bouquin. 
Par exemple, on sait que chez nous les flics vont toujours par deux : le flic méchant et le flic gentil. Et bien en Slovaquie, c'est tout pareil : un tandem avec un flic méchant et un flic brutal
Quant aux voyous, ils sont pour la plupart conformes au stéréotype : des gars bodybuildés que l'auteur décrit comme des "brutes-sans-cou en joggings de marque en polyester". 
 Et si la prose d'Arpád Soltész, acerbe et sans fioriture, est souvent réjouissante, il n'en va pas de même pour son pays (membre de l'UE depuis 2004) : le bouquin a été écrit en 2020 peu après l'assassinat en 2018 du journaliste d'investigation Ján Kuciak (un confrère de l'auteur donc) qui enquêtait sur la corruption du pouvoir.
En 2018, les réactions dans le pays ont contraint le président Robert Fico à la démission.
Il vient d'être réélu en 2023 et a repris les rênes du pays après avoir échappé lui-même à une tentative d'assassinat début 2024 !

Le canevas :

C'est le lieutenant Mikuláš Miko alias Miki (là-bas, tout le monde porte plusieurs surnoms et diminutifs ce qui ne facilite guère la vie du lecteur !) qui nous invite dans sa charmante ville de Košice dans la région de Prešov dans l'est de la Slovaquie, bien loin de la capitale Bratislava ou plutôt Blava comme ils disent là-bas (quoi ? même les villes ont des diminutifs ?!). 
Une ville de la taille de Strasbourg (pour donner une idée) qui accueille des communautés juives ou roms et bien sûr de nombreux transfuges venus d'Albanie et de l'ex-Yougoslavie importer leurs mafias et leurs différents ethniques dans les rues de Slovaquie.
[...] C’est un Yougo, un Croate lui semble-t-il, mais qui doit se souvenir de tous leurs États ?
[...] Lui- même avait beau ne pas savoir distinguer un Serbe d’un Croate, il savait pertinemment que s’ils se croisaient aujourd’hui dans une ruelle sombre de Košice, un seul en sortirait à l’autre bout. Pour Miki, ça restait toujours des Yougos qui s’entretuaient massivement à quelques heures de voiture et il ne lui semblait pas qu’il y ait dans cette guerre de héros positifs.
[...] — Arrête de pinailler. C’est nous qui avons demandé aux gars d’être durs.
— Avec tous ceux qui avaient l’air albanais.
— La nuit, tout le monde a l’air albanais, c’est ça le problème.
Son jeune et nouvel adjoint Moly (et ça recommence : diminutif et surnom de Igor Molnár) est bientôt retrouvé mort dans sa voiture savamment emplafonnée dans un arbre isolé. Un accident grossièrement maquillé par les mafieux dont le chef a un nom/surnom/diminutif prédestiné : Bandi !
Miko n'appréciait guère Moly mais est évidemment furax qu'on ait osé massacrer son adjoint et il va élaborer une vengeance à la mesure des gangs et des trafics de Košice.
De quoi ironiser sur la sagesse de Confucius lorsqu'il a dit qu'avant de prendre le chemin de la vengeance, il faut que tu creuses deux tombes : parce que deux, ça ne suffit pas en Slovaquie !
Dans sa quête d'une certaine et relative justice, Miko sera aidé par un journaliste d'investigation Schlezi (diminutif ! de Schlesinger), double de l'auteur et hommage à Ján Kuciak.

Pour d'autres polars en Europe Centrale on peut lire : Zygmunt Miłoszewski en Pologne ou Jurica Pavičić en Croatie. 

Pour celles et ceux qui aiment jouer aux gendarmes et aux voleurs.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Agullo (SP).
Ma chronique dans la revue Actualitté.

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