vendredi 7 mars 2025

À qui sait attendre (Michael Connelly)


[...] - C’est quoi, cette affaire ? demanda Ballard.

Un excellent Connelly, car même si Harry Bosch est en retrait, l'auteur maîtrise parfaitement, on le sait depuis longtemps, l'art du récit et du thriller.
Il va même jusqu'à imaginer ici un épilogue à l'affaire du Dahlia Noir.

L'auteur, le livre (480 pages, janvier 2025) :

📖 Rentrée littéraire hiver 2025.
Voilà quelque temps que l'on n'avait pas renoué avec le maître toujours incontesté du polar US : Michael Connelly. Mais fort à propos, ce titre est venu nous faire comme un clin d’œil : "À qui sait attendre" !
Et bien nous en a pris d'y avoir cédé car c'est vraiment un excellent épisode qui prouve, une fois de plus, que si Connelly accuse son âge (tout comme nous !), il sait se renouveler et tenir sa place sur le podium.

Les personnages :

Depuis longtemps, Connelly entretient avec soin et amour sa petite équipe de personnages, une équipe qu'il féminise peu à peu : Harry Bosch est à la retraite, rongé par un cancer et surtout par l'ennui, il se gave d'épisodes de La Défense Lincoln (Connelly pratique aussi l'autodérision !).
C'est Renée Ballard qui a pris le relais et qui dirige maintenant le service des 'cold cases'. Son équipe est constituée de bénévoles (!) puisque le budget de l'administration est de plus en plus réduit.
[...] Les membres de l'unité des Affaires non résolues étaient bénévoles. Depuis deux ans et dans tout le pays, la tendance était à la baisse de budget au sein des services de police, qui avaient de plus en plus recours à des inspecteurs à la retraite pour enquêter sur des affaires non résolues.
Et puis voici Maddie, la fille de Harry, qui veut intégrer l'équipe de Renée pendant ses heures sup ! 
Allez, tout le monde est en place, le spectacle peut commencer ! 

Le canevas :

L'équipe des 'cold cases' de Renée Ballard est sur le point d'identifier un serial killer qui sévissait il y a plus de vingt ans sauf que ... le suspect serait un juge renommé et intouchable ! Il va falloir y aller en douceur !
Dans le même temps, Renée se fait voler ses papiers, son badge de flic et son arme de service ! Aïe.
Comme ça la fout mal pour une flique, elle recherche discrètement ses voleurs ... et avec l'aide de Harry, ils vont tomber sur une hénaurme affaire !
Pour faire bonne mesure, Maddie Bosch annonce à toute l'équipe qu'elle dispose de preuves irréfutables pour identifier le tueur du Dahlia Noir, la célèbre affaire non élucidée de 1947 ! 
[...] Elle ouvrit l'album et en feuilleta les pages jusqu'au moment où elle trouva sa photo.
- Tu penses que c'est lui ? demanda Masser.
- Peut-être. Mais ce serait trop facile, répondit-elle. Et jusqu'à présent, rien ne l'a été dans cette affaire.

♥ On aime :

 Plusieurs personnages clés (Renée, Harry, Maddy) et plusieurs enquêtes parallèles : surprenant mais ça fonctionne, parce que Connelly maîtrise son récit d'une main de fer, passe de l'une à l'autre avec brio, dose ses effets, et bien vite le lecteur est complètement captivé. Suspense et stress sont au rendez-vous, impossible de lâcher le bouquin, on tient là un véritable page-turner.
 Et puis l'intrigue est traversée par les soubresauts de l'attaque du Capitole de 2010. La mouvance des "citoyens souverains" prend de plus en plus d'importance (y compris chez nous) et Connelly nous rappelle qu'il y a quelque chose de pourri au royaume US. Des fois que cela nous aurait échappé ...
[...] A lire les bulletins d'information du FBI et les alertes du LAPD, elle savait que ces « citoyens souverains » s'opposaient à tous les impôts et ne reconnaissaient aucune loi. D'après la dernière alerte dont elle se souvenait, leur nombre avait grandi de manière significative depuis les deux tremblements de terre qu'avaient constitué la pandémie du COVID et l'insurrection manquée au Capitole. L'alerte concluait que tous les souverains devaient être considérés comme armés et dangereux et que les forces de l'ordre ne devaient les approcher qu'avec les plus extrêmes précautions.
 Connelly reste fidèle à ses thèmes de prédilection et utilise le personnage de Renée pour fouiller là où ça fait mal, là où la violence laisse des cicatrices : les proches, la famille, ceux qui restent et peinent à surmonter la perte d'un être cher, et parmi les policiers, ceux qui ne peuvent s'empêcher de ressentir de la compassion pour ces personnes.
[...] J'avais écrit "traumatisme vicariant" et j'ai commencé à vous expliquer que pour moi, c'était la cause même de votre agitation et des insomnies que vous rencontrez. Je vous ai plus ou moins dit que vous étiez une mangeuse de péchés, que vous vous appropriiez toutes les horreurs que vous voyiez dans votre travail, que vous les gardiez en vous et qu'elles ressortaient sous la forme de ces symptômes que nous constatons : les insomnies, l'agitation qui vous conduit à vous mettre vite en colère.
[...] Je travaille avec des familles brisées par la perte brutale d'une fille, d'un fils, d'une mère ou d'un père. Peu importe que ce soit l'un ou l'autre, je vois leur douleur et elle ne s'efface jamais. Je vois comment elle les vide de l'intérieur. Tous attendent une sorte d'apaisement dont ils savent très bien au fond leur cœur qu'il ne viendra pas.
Un excellent Connelly donc, car même si Harry Bosch est retrait, l'auteur maîtrise parfaitement, on le sait depuis longtemps, l'art du récit et du thriller. Des romans où Los Angeles, la ville des Anges (déchus ?), tient toujours une place particulière.

La curiosité du jour :

L'affaire du Dahlia Noir date de 1947 et n'a jamais été élucidée alors que une cinquantaine de "suspects" se sont eux-mêmes dénoncés à la police ! Même à Hollywood, on a la célébrité qu'on peut.
Le Dahlia Noir c'était le surnom donné à une jeune femme, Elizabeth Short, qui rêvait de devenir actrice, comme tant d'autres. Elle fut retrouvée dans un terrain vague de L.A., âgée seulement de 22 ans, le corps mutilé et sectionné en deux, vidée de son sang.
Les films, les chansons, les livres (dont celui de James Ellroy) et même les bandes dessinées ne manquent pas sur cette affaire devenue culte.
[...] Une affaire de cette magnitude ... Elle fait maintenant partie intégrante de l'histoire de Los Angeles. Il y a eu des films, des livres, des séries télé ... On a le livre de James Ellroy, celui d'un ex-flic qui dit que son père est l'assassin, tout un tas de théories.
Connelly lui imagine ici un épilogue plutôt bien vu.

Pour celles et ceux qui aiment Los Angeles.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Calmann-Levy (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.  

jeudi 6 mars 2025

L'énigme Modigliani (Eric Mercier)


[...] Et pourquoi l’a-t-il ébouillanté ?

Un petit polar sympa qui même habilement histoire de l'art et intrigue policière.

L'auteur, le livre (320 pages, février 2025) :

📖 Rentrée littéraire hiver 2025.
On est friand de ces romans qui nous amènent la Kulture sur un plateau : le nancéien Eric Mercier est passionné d'art et, dans ses polars érudits, il entremêle enquête policière et histoire de la peinture.
Les enquêtes précédentes (pas lues ici) évoquaient Bernard Buffet, Van Gogh ou encore les Fauves, une façon agréable de (re)découvrir la peinture, et on fait sa connaissance ici avec le cinquième épisode : L'énigme Modigliani.

Les personnages :

Il y a là le commandant de police Frédéric Vicaux et son équipe du Bastion (depuis que la DPJ parisienne a quitté le fameux 36 Quai des Orfèvres), une équipe où les femmes tiennent leur place.
Et sa compagne Anne Naudin, historienne de l'art, dont la "vocation est d’obtenir la restitution à leurs propriétaires légitimes des biens spoliés par les nazis avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale".
Et puis bien sûr Amedeo Modigliani et ses belles (un passé que l'on revit grâce à quelques retours sur les années 20).

Le canevas :

Comme dans tout bon polar, on commence par la découverte d'un corps non loin de Paris : un homme pendu après avoir été ébouillanté. Le châtiment qui était jadis réservé aux faussaires.
[...] – Et pourquoi l’a-t-il ébouillanté ?
– C’était le châtiment réservé aux faussaires sous l’Ancien Régime, affirme Laetitia. La Révolution française l’a aboli.
[...] La pratique de l’ébouillantage est attestée depuis le XIIe siècle par un règlement royal qui stipule que les faux-monnayeurs devront être « suffoqués et bouillis en eau et huile ».
Le supplicié s'avère effectivement être un faussaire, peintre réputé, récemment sorti de prison. Jusque là tout va bien, si je puis dire. 
Pendant ce temps, Anne Naudin, l'historienne de l'art, essaye de retrouver les propriétaires légitimes du portrait d'une jeune femme, Aliza, peint par Modigliani. Sans doute une amante du temps où il écumait les cafés branchés de Paris vers 1920.
[...] Modigliani est l’un des peintres les plus contrefaits. Amedeo Modigliani, l’Italien à la gueule d’ange, possédait de grands talents de séducteur. Aliza serait-elle l’une des nombreuses femmes ayant pimenté l’existence du peintre ?
Bien sûr "il est étrange de trouver ainsi à chaque fois Modigliani sur [la] route", mais au-delà du contexte pictural, quel peut bien être le lien entre ces deux enquêtes ? 

♥ On aime :

 On aime évidemment que toute l'intrigue tourne autour de la peinture en général et de Modigliani en particulier. L'enquête policière du commandant Vicaux après la découverte du corps supplicié tout comme les investigations historiques de sa compagne Anne autour du tableau de Modigliani. 
Ces deux intrigues sont pour le lecteur, l'occasion d'apprendre tout plein de choses intéressantes autour de la peinture, des artistes et des marchands de tableaux.
Un petit policier sympathique et instructif.

Pour celles et ceux qui aiment la peinture.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à Netgalley aux éditions de La Martinière (SP)
Mes chroniques dans les revues ActuaLitté et Benzine.  

mardi 4 mars 2025

Submersion (Iwan Lépingle)


[...] La mer nous a poussés loin du rivage.

Polar celtique et familial à l'époque où bientôt les 'méga marées' repousseront les habitants loin du rivage. Avec de beaux dessins d'architecture 'brutaliste'.

L'auteur, l'album (128 pages, octobre 2024) :

On ne connaissait pas encore Iwan Lépingle qui signe le scénario et les dessins de cet album : Submersion publié chez Sarbacane
Un autodidacte qui a commencé sa carrière chez les Humanoïdes Associés et qui est surtout un amateur de grands espaces et de voyages.
Cette fois il ne nous emmène pas très loin, tout au nord de l'Écosse mais à une époque (vers 2045) où les marées géantes auront commencé à noyer les côtes.

♥ On aime :

Quelques bonnes raisons de découvrir cet album ?
 Pour l'ambiance de ce petit polar celtique dans un décor qui paraît presque normal. Presque.
Si le scénario évoque bien des 'méga marées', ce n'est pourtant pas un récit post-apocalyptique, encore moins un film catastrophe. De temps à autre apparaît ici ou là, un bâtiment déserté, une zone inondée, des bungalows que l'on recule un peu plus loin, des pêcheurs qui sont devenus cultivateurs d'algues, ... Bref, les changements futurs qui nous attendent sûrement, patiemment et sans esbroufe.  
 Pour le dessin qui s'apparente à la ligne claire franco-belge avec des aplats de couleurs aux teintes orangées, aux ombres bleutées. Des personnages dont les visages sont parfois taillés au couteau. Et puis surtout ces bâtiments, cette architecture brutaliste (c'est à la mode en ce moment !), ces belles perspectives fuyantes (Iwan Lépingle dessine tout cela sans assistance logiciel).
 Pour l'intrigue enfin de cet agréable roman policier qui fait la part belle aux histoires de famille.

Les personnages :

Non loin d'Inverness, il y a là les trois frères Calloway. 
En fait, il n'en reste plus que deux : Wyatt, le plus jeune, c'est tué en voiture il y a 6 mois sur une grande ligne droite, peut-être après avoir bu une pinte de trop. 
Badger et Travis ont un peu de mal à s'en remettre, Travis est persuadé que ce n'était pas un banal accident.
Il y a là aussi Jenny, la femme de Wyatt, et leur fils Kyle.
Et puis un black, Joseph, un garagiste à la réputation de ... garagiste, donc pas très apprécié de ses clients.
Lors d'une soirée chez des amis, "Travis a entendu le petit truc qu'il attendait, la petite info qu'il lui fallait pour démarrer la machine à embrouilles".

Le canevas :

Vers 2045, la mer a repoussé les habitants loin du rivage. La pêche ne donne plus rien et il faut se contenter de cultiver et ramasser des algues. Il faut rehausser régulièrement les digues et déménager les baraquements toujours plus loin.
[...] La mer nous a poussés loin du rivage. Nous lui avons abandonné nos maisons. Nous avons vidé les lieux. Quand elle a monté et monté encore, elle a léché les murs qui nous avaient vu grandir. Elle les a grignotés méthodiquement, comme une bête affamée qui serait venue se délecter de nos vies d'avant et les engloutir à jamais.
Travis reste accroché obstinément au passé : il n'arrive pas à faire le deuil de son frère Wyatt, tout comme il n'arrive pas à s'habituer à la nouvelle vie que la mer envahissante impose aux habitants, à un littoral qui devient inhabitable, recule d'année en année et redevient sauvage. 
Travis s'emporte un peu trop rapidement, mais ne dit-on pas que ce n'est qu'après la colère que vient l'acceptation ?

Pour celles et ceux qui aiment la mer, même lorsqu'elle devient envahissante.
D’autres avis sur Babelio ou la BDThèque.
Livre lu grâce aux éditions Sarbacane (SP) avec quelques planches.
Ma chronique dans la revue ActuaLitté.
La Mouette Hurlante a interviewé Iwan Lépingle à propos de cet album.