[...] C'est pour de vrai ?
Portrait difficile d'un meurtrier qui tua deux innocents à Dublin en 1982 : le dandy aristocratique Malcolm Macarthur voulait imiter l'IRA et préparait un braquage pour renflouer ses caisses vides. Au final, pas de braquage mais deux morts et un gouvernement qui faillit être renversé : le ministre de la justice avait hébergé l'assassin, son ami !
L'auteur, le livre (320 pages, septembre 2025, 2023 en VO) :
Comme beaucoup d'irlandais, l'écrivain et journaliste Mark O'Connell s'est retrouvé fasciné par Malcolm Macarthur, le meurtrier qui tua deux personnes à Dublin en 1982, fut condamné et emprisonné puis finalement libéré en 2012 après trente ans d'incarcération.
Son livre, Sur le fil de la violence, est né de cette fascination que résume fort bien Emmanuel Carrère : « dans la galerie des criminels qui ont fasciné des écrivains, l’élégant Malcolm Macarthur est l’un des plus énigmatiques. Et dans le panthéon des écrivains fascinés par des criminels, Mark O’Connell se révèle un des plus brillants. »
Le bouquin est sous-titré : « une histoire de vérité, d’invention et de meurtre » car dans ce true-crime il sera beaucoup question de l'inatteignable vérité dans ce difficile portrait d'un meurtrier.
La traduction de l’anglais (Irlande) est signée par Charles Bonnot.
Le contexte et les personnages :
L'histoire est si curieuse qu'à l'époque, les journalistes irlandais ont même forgé un acronyme : GUBU, un mot qui est toujours utilisé aujourd'hui.
GUBU pour « Grotesque, Unbelievealbe, Bizarre, Unprecedented », soit : grotesque, incroyable, bizarre et inédit.
Malcolm Macarthur était une sorte de dandy aristocratique, dernier héritier d'une famille de propriétaires terriens. Mais sa fortune fut assez vite dilapidée.
« Alors qu’il n’avait jamais travaillé de sa vie, [...] il allait se retrouver sur la paille. Et cela, c’était hors de question. Il résolut que le moyen le plus rapide et le plus efficace de se sortir de cette mauvaise passe était de commettre un braquage. On entendait beaucoup parler de ces vols à main armée à l’époque : l’IRA avait lancé une série de hold-up pour financer la lutte. »
« Les finances de Macarthur étaient au plus bas, il avait donc décidé de braquer une banque et il avait eu besoin pour ce faire d’un fusil et d’une voiture. L’histoire, à sa façon, est parfaitement cohérente. »
Pour obtenir véhicule et arme, il a « tabassé à mort une parfaite inconnue et tiré une balle dans la tête d’un autre malheureux au cours d’un même week-end meurtrier ».
« Macarthur voulait conserver son style de vie, sa liberté ; il lui fallait pour cela de l’argent et il avait décidé de braquer une banque, ce pour quoi il avait eu besoin de voler un fusil et une voiture.
Il aurait très bien pu prendre la voiture de Bridie Gargan sans lui faire de mal. Et il aurait pu , encore plus facilement, s’emparer du fusil de Donal Dunne sans lui tirer dessus ».
Il se fait alors héberger chez un ami, Patrick Connolly ... qui n'était autre que l'attorney général du pays (le ministre de la justice) qui, fort heureusement, ne connaissait rien des meurtres commis !
« Patrick Connolly n’était pas qu’un ami de Macarthur : il était aussi procureur général, le magistrat le plus haut placé du pays, un homme en vue au sein d’un gouvernement en difficulté ».
Quelques jours plus tard, Macarthur sera finalement arrêté chez le pauvre Connolly, le gouvernement tremblera sur sa base et l'assassin sera « condamné pour meurtre, c’est à peine s’il y eut un procès. Il plaida coupable et aucune déposition ne fut faite au tribunal ».
Si cette histoire est pas GUBU, hein ?!
« Une blague d’un abyssal mauvais goût. (Vous la connaissez, celle du dandy fortuné qui essaie de faire un braquage et qui finit par assassiner deux personnes et manque de faire chuter le gouvernement ?) »
Vous en voulez encore ?
L'auteur Mark O'Connell, allait régulièrement chez ses grands-parents quand il était enfant et ses grands-parents étaient les voisins ... de Patrick Connolly !
Stop ou encore ?
Dans les années 90, un auteur irlandais, John Banville, publie un roman (Le livre des aveux) assez librement inspiré de l'affaire Macarthur : lorsqu'il sera libéré plus tard (2012) le "vrai" Macarthur pourra mêler habilement ses propres souvenirs et l'imagination de Banville ... Il sera désormais bien difficile faire le tri.
Malcolm Macarthur était (outre un double meurtrier !) un curieux personnage qui ne sortait jamais sans son nœud papillon. Et si les irlandais se passionnèrent pour ce fait divers, c'est aussi parce que le meurtrier n'avait rien d'une brute épaisse sortie des bas-fonds de Dublin mais que cet aristocrate cultivé était une « brute distinguée », un « intellectuel barbare » ou encore un « sauvage bien né ».
Alors « la question ... qui semble flotter au-dessus de ce récit, de cette farce monstrueuse. C’est pour de vrai ? [...] C’est pour de vrai ? La question revient, encore et encore. »
♥ On aime un peu :
➔ On entre difficilement dans ce récit car le "je", l'auteur en train d'écrire, si typique de l'écrivain anglo-saxon qui a fréquenté les classes littéraires des universités comme le Trinity College de Dublin, ce "je" est quelque peu envahissant.
Pendant le confinement de 2020 Mark O’Connell écumait obsessionnellement les rues de Dublin dans l'espoir de provoquer une rencontre avec entre le "sujet" et son "objet", Malcolm Macarthur récemment libéré de prison.
L'auteur voulait « connaître la vérité de cette histoire qui [l]’avait hanté pendant tant d’années. [Il] voulait savoir qui était cet homme, ce qu’il était ».
Certes les scrupules d'un auteur qui tente de démêler la vérité de la fabulation voire de l'affabulation sont tout à son honneur. D'autant plus qu'il tente de faire le difficile portrait d'un « narrateur peu fiable dans le meilleur des cas ».
Mais ces atermoiements plombent tout de même une bonne première partie de l'ouvrage.
« Je vais pourtant m’efforcer de laisser mon imagination en dehors de tout cela. La réalité est bien suffisante ».
« Je veux dire qu’il n’y a pas de bonne façon de le raconter. Comment serait-ce possible ? Tout ce que j’ai, c’est le témoignage d’un homme dont je ne peux tenir les paroles pour vraies, même s’il les croit lui-même ».
Reconnaissons que la position adoptée par O'Connell, son parti pris louable mais trop scrupuleux, peine un peu à nous convaincre et à nous captiver et qu'on est bien loin d'un David Grann quand il parvient à s'effacer complètement derrière son sujet.
➔ Il faudra attendre la seconde moitié du livre pour que l'on s'intéresse un peu moins à Mark O'Connell et un peu plus à l'insaisissable Malcolm Macarthur, un meurtrier qui fait preuve d'un recul étonnant sur ses propres crimes, sur ce qu'il appelle lui-même son « épisode criminel », avec « un détachement qui devait lui être nécessaire d’un point de vue psychologique ».
Un meurtrier qui « semblait posséder l’extraordinaire capacité de modeler ses souvenirs pour répondre à ses besoins. Si un souvenir lui était douloureux, il le changeait en une autre chose mieux assimilée » et qui restera jusqu'à la dernière page un mystère insondable pour l'auteur comme pour le lecteur.
« Il était également évident que, exception faite de son « épisode criminel » – dont il était tout sauf fier – Macarthur avait une haute opinion de lui-même ».
Comme s'il n'était pas ou plus vraiment concerné par cet « épisode » : « je sais que j’ai fait la pire chose qui soit. Mais j’ai une grande propension à la bienveillance, la considération et la générosité ».
Alors oui, « c’est ce qui rend ce récit si troublant, cette étrange instabilité de ton. C’est une terrible tragédie, impliquant la mort violente de deux jeunes personnes des mains d’un inconnu. Et pourtant, on ne peut ignorer que c’est aussi une histoire incroyable ».
GUBU vous avez dit ?
Pour celles et ceux qui aiment le true-crime.
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Livre lu grâce aux éditions Hachette (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.
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