mardi 1 février 2011

Berceuse pour un pendu (Hubert Klimko)

Histoire de fou.

C'est une histoire de fous que nous chante le polonais Hubert Klimko avec sa Berceuse pour un pendu.
Sauf qu'il ne faut surtout pas manquer la préface qui nous explique que le fou s'est bien pendu et que ce livre est bien une berceuse.
Le “fou”, c'était le violoniste Szymon Kuran, polonais émigré en Islande, certainement atteint de troubles bipolaires.
L'auteur Hubert Klimko, autre polonais perdu en Islande, avait fait cette promesse à son ami :

[...] “Hubert, promets-moi  d'écrire quelque chose après ma mort. Sur nous, notre amitié, l'amour ... Tu le mettras à ta sauce, tu donneras des couleurs à tout ça. Dis, tu le feras ? Promets-le-moi !” J'ai promis.

Voilà qui donne un sacré relief à ce qu'on va lire, soudain plombé par des tonnes d'humanité bien réelle.
Pour autant la berceuse n'a rien d'un requiem. Bien au contraire, c'est une histoire pleine de douceur, pleine d'humanité, pleine de rires aussi même si c'est bien souvent aux dépends des islandais(1).

[...] ces islandais qui n'ont pas la moindre notion de l'art car, toujours selon Boro, en cinquante ans, on ne peut pas passer, d'un coup, de la cabane aux salons, du viol des brebis au sexe raffiné avec la princesse.

L'histoire de trois amis, trois émigrés (un croate et deux polonais), perdus sur cette lointaine terre islandaise, au bout du bout du monde. Deux d'entre eux, Boro le peintre croate et Szymon le violoniste polonais sont donc un peu dérangés. Des “lapins de chapeau” en langage carabin :

[...] un patient qui apparaît puis disparaît pour réapparaître de nouveau, et ainsi de suite. Il n'est jamais complètement guéri, il n'est jamais complètement débarrassé de sa maladie. Un coup de déprime, et hop ! à l'hôpital. L'hôpital et la vie, la vie et l'hôpital.

Lorsqu'ils sont dehors, ces deux-là, nous offrent des scènes d'un absurde sommital. C'est jubilatoire, comme on dit.
D'autant que le regard qui raconte est celui de leur ami qui, lui, ne les trouve donc pas plus fous que vous et moi et sûrement plus civilisés que les islandais : ce sont ses amis, un point c'est tout. Ses meilleurs amis. En fait ses seuls amis sur cette île perdue. Une île qui ressemble à un asile peuplé d'islandais étranges et où les seuls vrais humains sont nos trois compères. Alors on est bien avec eux, contents de partager leurs histoires abracadabrantes, leurs nanas impossibles, leurs galères sempiternelles, leurs pitreries foutraques, ...
Ils sont sans cesse à la recherche de chez eux : d'une maison, d'une bande de copains(2), d'un chez-soi, peut-être aussi d'un chez-soi dans leur tête malmenée.
À mi-parcours, Boro s'en va, pour de vrai : il va régulièrement sur la plage donner à manger des seaux de poissons à son orque favorite, sans doute imaginaire, pour qui il joue aussi de l'harmonica. Une fois de trop, on ne le reverra plus.
Plus tard ce sera au tour de Szymon de choisir une autre route, accompagné d'une berceuse jouée au violoncelle par le narrateur, son ami, qui rêvait de devenir musicien, n'étant, excusez du peu, que peintre et poète.

[...] Nous nous sommes retrouvés sur un plateau jonché de lupins, des kilomètres de toutes les nuances de bleu possibles et imaginables. [...] Nous sommes sortis. Je me suis appuyé au capot, me délectant de l'extraordinaire spectacle, et Szymon a pris dans la voiture son maillot de bain et sa serviette qu'il a étendue par terre comme le font les baigneurs à la plage de Miedzyzdroje. Il s'est complètement déshabillé et a enfilé son maillot de bain bleu, a sorti son archet, son violon, l'a accordé et a demandé : “Tu ne te baignes pas, n'est-ce pas ?” et avec son violon il est entré dans le champ de lupins. Il est allé de l'avant , lentement, tenant son instrument au-dessus de sa tête, comme s'il ne voulait pas le mouiller, comme s'il barbotait dans les vagues. [...] Il s'est immobilisé, j'ai entendu une douce musique en provenance du champ. C'était un air serein et mélodieux, en parfaite harmonie avec le lieu. [...] Le vent s'est levé. La mélodie s'est mêlée à son souffle. Un orchestre philharmonique au cœur de la mer, oui, au cœur de la mer, car à cet instant seulement j'ai compris que nous étions vraiment au bord de la mer, que c'étaient des vagues marines, que c'était un vent marin, que tout n'était que musique, et qu'au loin l'homme se baignait, se baignait dans les vagues et dans la musique.

De ce roman largement autobiographique on ne sait dire si Hubert Klimko Dobrzaniecki est devenu un grand musicien, mais à coup sûr, c'est un grand écrivain.
Ce petit bouquin d'une grosse centaine de pages est un grand livre, une petite parenthèse de poésie, d'amitié et d'humanité dans notre monde hostile.
Et pas si triste que son sujet pourrait le laisser penser : on sort de cette berceuse apaisé, sans doute comme Szymon.
Arnaldur Indridason nous avait habitués aux disparitions sur sa mystérieuse terre d'Islande : en voici une ou deux de plus.

(1) : je ne crois pas avoir lu ailleurs (sauf peut-être chez Beaudelaire) autant de férocité moqueuse sur nos voisins belges par exemple, les polonais émigrés en Islande semblent avoir une dent vraiment dure contre les indigènes et peut-être même l'île toute entière. Ceci dit, on les comprend un peu, quelle idée d'aller chercher du boulot là-bas, mirage économique ou pas, ils ont dû déchanter. Et bien avant la crise, dès leur arrivée même.
(2) : la famille est restée au pays, ce sont des exilés


Pour celles et ceux qui aiment les histoires de fous et pas les islandais.
Les éditions Belfond publient ces 142 pages parues en 2007 en VO, joliment préfacées par Margot Carlier et traduites du polonais par Véronique Patte.
Blue Gray, Stéphanie, en parlent.

vendredi 21 janvier 2011

Le signal (Ron Carlson)

GR.

C'est le Père Noël (déguisé en Véro) qui nous aura amené le dernier né de la collection nature writing des éditions Gallmeister, “LA” maison d'édition qui fait parler d'elle depuis quelques temps.
Une boutique dont est devenu inconditionnels depuis sa série "Noire" qui nous aura fait découvrir des auteurs comme Craig Johnson ou William G. Tapply.
Avec Le signal, le Père Noël, tout comme Olivier Gallmeister ont fait, à nouveau, un bon choix !
Prévoyez deux ou trois bonnes et longues soirées avant d'ouvrir ce bouquin : il suffit d'une vingtaine de pages à Ron Carlson pour nous accrocher définitivement avec cette histoire qu'on ne veut plus lâcher.
Et pourtant ce n'est pas un polar(1), il n'y a pas vraiment d'intrigue, peut-être un suspense diffus, on en reparlera.
Et pourtant il ne se passe pas grand chose : c'est juste l'histoire d'une randonnée dans les montagnes du Wyoming.
Et pourtant il n'y a pas foule de personnages (forcément dans ces montagnes ...), deux randonneurs, à peine quelques personnages très secondaires, quelques autres plus importants sont évoqués mais on ne les verra jamais.
Alors ? Qu'est-ce qui fait qu'on ne veut plus lâcher ce bouquin ?
Mack et Vonnie se sont connus dans le Wyoming. Ils ont vécu une dizaine d'années ensemble, partagé l'amour des chevaux et des montagnes, crapahuté sac au dos avec leur matériel pour la pêche à la mouche(2).
Mais comme dans toute belle bonne histoire qui se respecte, Mack, peu à peu, a tout fait foiré. Son ranch était un gouffre financier (déjà du temps de papa), il s'est mis à picoler et à faire connerie sur connerie, de plus en plus grosses les conneries, il traficotait même avec de mystérieux agents façon CIA.
Alors Vonnie s'en est allée. Avec un avocat de la ville.
Mais tout ça c'est du passé, le bouquin commence en fait dix ans plus tard : Mack sort de prison après une connerie de plus(3) et se met en tête de partir en montagne une dernière fois sur les traces du bon vieux temps. Il a invité Vonnie à se joindre à lui.
Elle est finalement venue.
En tout bien tout honneur, pour aider une dernière fois Mack à remonter la pente(4), en souvenir du bon vieux temps.
Et les voici crapahutant avec leurs sacs à dos, évoquant les souvenirs, sachant bien tous deux que rien ne sera plus pareil, sachant bien que leur histoire est écrite au passé et que leur amour est derrière eux.
Et nous on est bien accrochés dans les sacs à dos, partageant l'intimité de ce couple qui n'est plus, la difficulté de ces retrouvailles ambigües, la richesse des souvenirs qui affluent. Grâce à la puissance d'évocation de l'écriture de Ron Carlson, après quelques pages on est devenus les meilleurs amis du monde.
http://carnot69.free.fr/images/Ron Carlson.jpg
[...] On lui avait dit qu'il ne restait plus que quelques endroits dans le pays où une personne pouvait encore s'éloigner à huit kilomètres de la route, et, pour lui, cela restait la pire nouvelle qu'il ait jamais entendue.
Et cette simple balade dans les grandioses paysages du Wyoming s'épaissie au fil des pages, faisant revivre les histoires que l'on se raconte à la chaleur d'un feu de bois et les souvenirs qui ressurgissent au détour d'un chemin ...
Concocté par Ron Carlson, ce subtil mélange d'un passé, tantôt amoureux, tantôt galère, et d'un présent, souvent désabusé, est un élixir dont ne se lasse pas.
Mais voilà ... on sent que ça ne va pas durer. Forcément cette balade va mal tourner. Forcément Mack va encore tout faire foirer. D'ailleurs il a pas trouvé mieux que de profiter de cette rando pour aller chercher une espèce de balise ou de boîte noire mystérieuse(5) qu'un des coquins mystérieux qu'il fréquente lui a demandé de retrouver, moyennant quelques milliers de dollars qui l'aideraient bien à renflouer les caisses du ranch.
Et c'est peut-être ça qui nous rend accros : l'histoire de cet ex-couple est superbement écrite, on ne voudrait jamais les quitter, on voudrait continuer à les suivre au bout du Wyoming, mais les paysages défilent, les pages tournent, et le petit gps de Mack fait bip-bip, et on sait qu'on approche de la fin, inexorablement, zut, zut, allez je relis encore une fois ce chapitre.
Oui, voilà, on voudrait lire ce bouquin à reculons, on voudrait que nos deux randonneurs soient en moins bonne forme, qu'ils fassent deux pas en avant et surtout un en arrière ... histoire de faire durer le plaisir.
Tout le monde sait que d'habitude la fin d'une rando, le retour, est toujours un moment délicieux.
[...] Le retour est toujours un moment délicieux. Sales et fatigués, ils parlaient, discutaient des poissons qu'ils avaient attrapés, de la randonnée. Ces jours-là, son père disait toujours : “Être sale, comme avoir faim, ce sont des choses magnifiques qui se méritent. Nous l'avons bien mérité, alors allons nous laver et manger.” Il avait appris à Mack à ne jamais mépriser la faim mais à s'en servir comme d'un instrument, et ils avaient mangé d'excellents steaks dans les gros relais routiers à la lisière des villes de l'Ouest quand ils descendaient des montagnes. “Servons de nous de ça comme il faut.” - Mack avait dit ça à Vonnie chaque année; ils savaient tous les deux qu'ils mangeraient des steaks et boiraient des boissons fraîches sorties de la glacière qu'ils avaient gardée de côté : une célébration et une dernière nuit à camper près des voitures au-dessus du monde.
Mais cette fois-ci, on sait que le retour ne sera pas un moment délicieux.
Un peu dommage que la suite du bouquin ne soit pas tout à fait à la hauteur des attentes éveillées par la magistrale première partie : une fin un peu convenue où le viril Mack zigouille les méchants qui ont osé toucher à son ex-chérie qu'il aime encore au fond de son cœur. D'autant que Ron Carlson disposait de tous les ingrédients dans son sac à dos pour laisser son histoire se poursuivre en demi-teinte et se terminer en queue de poisson ... pêché dans un lac de montagne.
Que cela ne vous empêche pas de partir sans hésiter pour une très belle balade, sur les traces de Mack et Vonnie, un très beau couple.
(1) : le bouquin est d'ailleurs publié dans la collection Nature Writing et pas dans la collection Noire, ce qui compense un peu une 4° de couv' qui évoque, tout à fait hors de propos, "un suspense capable de nous mener au paroxysme de l'angoisse". 
(2) : d'Autriche aux US, on est cernés par les pêcheurs à la mouche ... commencent à nous gonfler ces américains avec leurs mouches, vous nous voyez pêcher dans la Seine avec ça ? vous nous voyez pêcher tout court d'ailleurs ? 
(3) : bon, là, rien à lui reprocher pour une fois : il a juste fracassé le Hummer de l'avocat de Vonnie. 
(4) : oui, je sais, celui-là est excellent 
(5) : un MacGuffin dirait Sir Alfred

Pour celles et ceux qui aiment la randonnée en montagne et les histoires d'amour même quand elles sont finies. 
Les éditions Gallmeister éditent ces 223 pages parues en 2009 en VO et traduites de l'américain par Sophie Aslanides. 
Hécate, Nathalia, Hannibal et Laurent en parlent. D'autres avis sur Babelio.

jeudi 20 janvier 2011

Double bonheur (Stéphane Fière)

Agent double bonheur.

Ce livre nous avait été proposé dans le cadre de l'opération Masse Critique par l'équipe de Babelio et les éditions Métailié.http://carnot69.free.fr/images/babelio.jpg
On a bien entendu saisi l'occasion de retrouver Stéphane Fière qu'on avait déjà croisé dans La promesse de Shanghaï.
Double bonheur raconte les aventures, toujours à Shanghaï, d'un jeune interprète français, à peine sorti de l'école et désormais au service du consulat.
C'est donc un lao wai, un singe blanc, un pébéa (petit blanc arrogant), un cochon rose, velu, grand et gras, bref un occidental.
On retrouve donc ici l'humour féroce de Stéphane Fière et son peu de compassion pour les pébéas.
Mais aussi tout son amour pour la Chine comme ici pour la cuisine de trottoir de la mère Zhao  :
[...] La patronne officie dans l'arrière-cour au milieu des flammes et des éclaboussures d'huile bouillante [...] les deux serveuses, Zifa et Shuiling, sont maintenant très gentilles avec moi, : des petites sœurs de la campagne, un mètre soixante au maximum, rondes, souriantes, alertes, avec de bonnes joues bien rouges, des nattes et des gros seins de laitières ; à mon arrivée elles hurlent voilà Xiao Li qui vient manger, je suis reconnu, j'ai l'impression de revenir à la maison [...] les clients autour, vieillards torses nus ou en pyjamas, chauffeurs de taxi, petits artisans, mingong se joignent à la conversation et les moments de la nuit passent, chaleureux, uniques ; on boit, on parle fort, on rote, on est rouges et transpirants, pressés les uns contre les autres sur les tables pliantes et les tabourets en bois, papier, pierre, ciseaux, je perds à chaque fois et ils remplissent mon verre à peine vidé, je suis là, au milieu, au milieu, au milieu d'eux, je ne suis plus tout seul et je n'ai pas envie de partir, pas envie de partir, je ne suis plus français, mais pas encore vraiment chinois [...]
La première partie du bouquin nous décrit par le menu la vie du consulat, de ses interprètes, des hommes d'affaires ou des universitaires venus chercher gloire et fortune à Shanghaï (et aussi quelques étudiantes peu farouches qui elles, sont à la recherche d'un passeport étranger).
Tout ce petit monde d'expat's est bien dérisoire : on couchaille ici ou là, on traficote autant qu'on peut et on arnaque un peu tout le monde. Pitoyable. Le portrait brossé par Stéphane Fière n'est vraiment pas reluisant et son “héros” n'en sort pas grandi.
À dire vrai, on a même trouvé cette partie un peu longuette(1) et on aurait aimé plus de belles pages comme celle de la cuisine de la mère Zhao.
À mi-parcours, François Lizeaux (c'est le nom de cet interprète peu héroïque) tombe amoureux, pour de vrai cette fois, d'une belle shanghaïenne An Lili. Une étoile montante dans la toute nouvelle vie affairiste chinoise : elle est rédactrice dans une revue de mode. Ils vont filer tous deux le parfait amour et s'enrichir peu à peu. La description de cette ascension sociale est beaucoup plus intéressante que les vilénies et bassesses du milieu consulaire et l'on suit l'évolution de ce jeune couple.
Jusqu'au jour où finalement, de petites enveloppes en gros pots de vin, la camarade Wen Zhunhen propose à François d'enregistrer les réunions du consulat ...
[...] Elle s'était mal fait comprendre. Travailler ensemble signifiait simplement collaborer avec elle pour lui fournir  des informations, des renseignements, un peu de documentation, rien d'extraordinaire crois-moi,  trois fois rien en fait, des broute-îles, des broute-îles, elle a précisé dans son français de fantaisie, juste un peu de veille, sur les comptes rendus de réunion que tu assistes camarade Li, mais pas dans tous les domaines rassure-toi, uniquement le nucléaire, le militaire et les nouvelles technologies.
Même si Stéphane Fière n'avait nullement l'intention de donner dans le thriller d'espionnage, on ne vous en dit pas plus mais assurément voilà qui est de la toute dernière actualité pour ceux qui ont suivi l'affaire Renault !
En somme, un bouquin réservé aux curieux de la Chine en général et de Shanghaï en particulier.
(1) : c'est sans doute nécessaire pour donner plus de poids au retournement final mais les longueurs de ce nombrilisme franco-français finissent par agacer, on était venu là pour les chinois ! pas pour les états d'âme d'un étudiant expatrié.

Pour celles et ceux qui aiment la Chine. Livre lu grâce à Babelio.
Les éditions Métailié éditent ces 351 pages qui datent de 2011.

mercredi 5 janvier 2011

Best-of 2010


À toutes celles et ceux qui auraient loupé notre petit billet du 1er janvier, on vous souhaite une excellente année 2011 !
Et voici enfin le 5ème (et oui ...) best-of annuel sur ce blog, histoire de permettre aux retardataires de se rattraper et de jeter un coup d'œil rétrospectif sur ce qu'on pourrait appeler «les coups de cœur de nos coups de cœur».
Même s'il est toujours difficile de faire un choix parmi les meilleurs, car le tri a déjà été fait une première fois avant d'arriver sur le blog  ...
cliquez sur les vignettes ou sur les liens pour retrouver les billets en version intégrale

Dans la catégorie Polars , cette année il n'y avait pas de quoi casser trois marches à un podium. Certes, on a bien lu un excellent Indridason et un très bon Donna Leon mais ces deux auteurs sont souvent cités ici et avaient déjà eu droit aux honneurs les années précédentes donc ....
Reste cette année :
Quand même, la découverte de R. J. Ellory et de ses deux bouquins dont l'excellentissime Seul le silence. L'autre volume (Vendetta) n'est pas mal non plus, même s'il n'atteint pas (à nos yeux) les sommets du précédent. Mais l'un ou l'autre, c'est incontestablement lui la révélation polar de 2010 !
C'est écrit par un anglais mais on jurerait du Truman Capote (à qui ce livre est dédié d'ailleurs), du Faulkner ou du Steinbeck, si, si.
On y retrouve ce souffle des grands écrivains américains, de ceux qui savent raconter une histoire. Rien de moins que l'histoire de la vie, la dure et la vraie vie. 
À cette lecture on ne peut qu'évoquer ces auteurs US perdus dans les vastes étendues sauvages de l'Ouest.
Sauf que R. J. Ellory a grandi à Birmingham même si son histoire se passe dans les États du Sud, en Géorgie.
C'est aussi un livre sur la littérature, ou plus exactement sur l'écriture, quand lire est une raison d'être et quand écrire est un besoin vital : l'histoire d'un jeune garçon qui noircit des cahiers sous l'œil bienveillant de son institutrice. Un jeune garçon dont l'adolescence et finalement la vie vont être façonnées par d'ignobles crimes.

La suite du podium polars est moins évidente.
Peut-être faut-il citer Le silence de la pluie du brésilien Luiz Alfredo Garcia-Roza.
Un polar original et bien mené, une promenade pas toujours paisible mais toujours agréable dans les rues et les bars de Rio, ... que demander de plus ?
On a même droit en prime à un dénouement très (comment dire sans trop en dévoiler ?) très plaisant où l'assassin reçoit un châtiment qu'il ne méritait pas (ce doit être ça qu'on appelle un happy end dans le sud).

Et puis Du sang sur la neige. Presque pas un polar.
L'écriture de Levi Henriksen (rocker norvégien de son état) n'atteint pas encore les cimes de ses illustres aînés nordiques mais ce n'est là que son premier roman en français (le quatrième chez lui) et si l'on en croit cette fournée, le futur est prometteur !
Un roman pas banal, attachant et un univers très personnel mais dans lequel on se laisse emporter sans difficulté (mais chaudement habillé).


Pas d'hésitation par contre, dans la catégorie Romans où 2010 est un grand cru :
Sans hésitation, ce sont Les chaussures italiennes qui remportent la palme cette année.
Certes Henning Mankell avait déjà eu droit à une palme (c'était en 2007) mais pour ses polars.
Le voici au rayon romans pour cet excellentissime histoire.
On aimerait en voir adapté un film, non pas à cause du scénario mais parce que les images y sont évoquées avec une force peu commune et qu'il ne faut que quelques lignes à Mankell pour nous plonger au coeur de l'hiver suédois aux côtés de son héros. Dès les premières pages on sent qu'on tient là un superbe roman à l'écriture sobre, qui fait mouche à tous les coups, qui touche à toutes les pages. Ça sent l'humanité, la vraie vie.

Pas de contestation possible non plus pour consacrer Le chemin des âmes et l'histoire forte du demi-indien qu'est Joseph Boyden.
Une écriture simple mais ample, à l'américaine, avec une puissance d'évocation peu commune.
L'histoire de deux indiens crees d'Amérique du nord, enrôlés dans l'armée canadienne venue lutter  contre les teutons pendant la Grande Guerre de 14-18. Deux amis inséparables. Et la tante de l'un deux, une vieille sorcière cree.
Une histoire admirablement construite autour de trois récits qui s'entrecroisent avec une surprenante fluidité.
Mais le roman de Joseph Boyden n'est pas qu'un récit de guerre de plus, loin s'en faut, et malgré l'horreur des tranchées on devient très vite accro à l'histoire qu'il nous conte. Sans doute parce que ses trois personnages (tout comme son écriture) sont lumineux et que, malgré les terribles souvenirs qui remontent, on se sent étonnamment bien aux côtés de la vieille sorcière cree au fond du canoé. Et l'on voudrait que le voyage de retour dure encore.

Et finalement, pas de débat non plus pour le troisième lauréat : Le cercle des amateurs d'épluchures de patates des deux américaines : Mary Ann Shaffer et Annie Barrows.
On en vient presque à regretter parfois le format épistolaire de ce bouquin tant on aimerait que cette formidable histoire prenne de l'ampleur. Et puis on se dit un peu plus loin que le changement de ton d'une lettre à l'autre permet justement au lecteur de respirer : il est quand même pas mal question des séquelles de la guerre (celle de 40-45 cette fois).
L'ironie profondément humaine de ce livre nous permet de ricaner et de glousser entre deux souvenirs d'horreurs.
Un livre très proche de 84 Charing Cross Road qui était déjà sur le podium 2007.
Avec peut-être le regret de ne pas pouvoir nominer cette année, faute de place sur le podium, les Prodigieuses créatures.


  2010 fut également une belle année cinéma :
Une année qui avait commencé en fanfare avec l'Avatar de James Cameron.
Certes le film a déjà un an, certes il était basé sur des effets d'animation, certes. Mais comment oublier qu'il nous avait vraiment bluffés ?
Quel superbe livre d'images ! Cameron ne s'est pas fichu de nous et on en a vraiment eu pour notre argent. C'est tout un univers qu'il a recréé pour nous : un peuple avec sa langue, sa religion et sa culture, une faune fantastique et une flore magique, à la Miyazaki, tout y est et c'est superbe !
Même MAM, pourtant allergique à la esseffe, était redescendue de Pandora enchantée de toutes ces belles images.

À peine quelques jours après cet Avatar, un autre grand du cinéma, Coppola nous assénait une autre claque avec son Tetro.
Là aussi, un pari cinématographique pas évident de prime abord avec le noir et blanc. Mais un si beau noir et blanc qu'on en vient à regretter que le technicolor ait été inventé !
Chaque plan est travaillé au millimètre, les jeux d'ombres et de miroirs se font écho, la musique fait presque partie des dialogues : du grand cinoche comme on aime.
Et puis quelle histoire !
Aucune violence physique à l'écran, mais quelle tension dans cette sombre histoire de famille où Coppola revisite le mythe de Coppélia .

Il y eut un peu plus de débats chez BMR & MAM pour la troisième marche du podium.
On aurait aimé citer le sombre Biutiful ou même le trépidant Green Zone.
Ce sera finalement le coup de coeur pour Dans ses yeux de l'argentin Juan José Campanella qui l'emportera, à bien juste titre.
Le film prend son temps pour installer et développer ses quatre personnages qui vont s'entrecroiser pendant vingt-cinq ans pour notre plus grand plaisir.
Et peu à peu, la fiction juridico-policière cède le pas à une très belle histoire d'amour ... qui n'a pas eu lieu.
Même verdict donc, côté justice et côté amour : non lieu.
Polar, comédie, romance, passé historique de l'Argentine, ... que demander de plus à ce film remarquablement construit et soigneusement équilibré ?


Dans la catégorie miousik :
Il était temps de rendre justice à notre reggae préféré, celui de Tiken Jah Fakoly à l'occasion de la sortie de son dernier album : African Revolution.
On s'éloigne un peu du reggae des débuts, très roots avec ses grands choeurs féminins (on aimait bien) pour gagner une orchestration très fine et riche en instruments de toute sorte, dont une basse chaleureuse, des percussions syncopées et bien sûr la traditionnelle kora mandingue. Ce renouvellement musical rafraîchissant est bien venu.
On retrouve toujours avec plaisir quelques reggaes très musicaux et très poétiques.
Mais ce sont bien sûr ses textes les plus décapants qui ont fait la renommée du trublion Tiken Jah.
Des textes rafraîchissants, très “basic politic”, bien éloignés de la langue de bois à laquelle nous sommes habitués. À écouter sur notre playliste.

Le sympathique duo australien Angus et Julia Stone a parcouru pas mal de chemin tout au long de l'année et on entend maintenant leur Big Jet Plane un peu partout, dans les supermarchés comme chez les Émotifs anonymes.
Ce n'est pas une raison pour ne pas reconnaître notre coup de coeur de l'année 2010 pour le folk discret mais classieux de ces deux jeunes kangourous.


Barbara Gosza est plus confidentielle.
Ses chansons sont moins “faciles”, sa voix plus exigeante, mais ne tournons pas autour du pot : ce fut indubitablement “LA” voix découverte cette année.
Entêtante et dépouillée, plaintive et entêtée, cette voix sonne clair, entre mélancolie et lumière et n'hésite pas à reprendre des standards de Cohen ou Dylan.
À écouter ici.


Bon curieusement, la catégorie BD était un peu en veille cette année : notre activité BD est chaotique avec pas mal de “suites” en lecture ou en attente, qui permettront bientôt de réactiver quelques billets. Mais guère de grandes nouveautés en 2010. Gageons que notre année 2011 sera plus fertile et surtout notre blog-BD plus bavard.
Voilà, c'est dit, c'est fait, salut 2010 et vive 2011 !
Et pour les retardataires des retardataires qui auraient raté le best-of 2009 : c'est encore !


mercredi 8 décembre 2010

Des éclairs (Jean Echenoz)


Le siècle des lumières.

Ah ! Encore un petit bouquin de Jean Échenoz.
Hmmm ... d'avance on est certain que ce sera délicieux.
Une des plus belles plumes de l'édition française, dans les mains d'un auteur discret et constant. Passer à côté de ses remarquables derniers ouvrages serait impardonnable !
Avec Courir, lu il y a peu grâce à Véro, Échenoz nous contait l'histoire galopante de Zatopek et, comme ça en passant, l'Histoire d'un demi-siècle qui courait follement lui aussi.
Cette fois Échenoz remonte un peu plus loin, au soir d'un autre siècle finissant, pour nous faire partager la pseudo-biographie de Nikola Tesla (qu'il appelle Gregor dans son roman), ce serbe qui finira américain après avoir inventé un truc, finalement assez utile, l'électricité.
Après la course de Zatopek, finalement rattrapé par son siècle, l'histoire de Tesla ne pouvait que nous taper dans l'œil, ne serait-ce qu'en référence au film Le prestige où apparaissait David Bowie dans le rôle de ... Nikola Tesla himself. Un savant fou, façon Dr. Frankenstein de l'électricité, courant après les pigeons.
Un portrait finalement assez proche de celui que brosse ici Échenoz.
Un surdoué des ondes électriques, un peu branque, franchement asocial, obnubilé par les oiseaux en général et les pigeons en particulier (et pas du tout par les femmes), qui inventera tout plein de choses et s'en fera piquer tout autant par les rusés affairistes que seront Edison, Marconi ou Westinghouse. Tesla avait la bosse des maths mais pas celle des affaires.
[...] Je sais bien que Gregor est antipathique, désagréable au point de laisser penser qu'il n'a que ce qu'il mérite, mais quand même. Le voici sans un sou et menacé de prison juste au moment où Edison, Westinghouse, Marconi et les autres, profitant de ses idées acquises à bas prix sinon carrément volées, s'épanouissent en affaires et se font un maximum d'argent. Non seulement lessivé, il voit bien amèrement que nombre d'entreprises, ne vivant que sur ses propres inventions, du courant alternatif à la T.S.F. en passant par les rayons X, se développent avec profit sans qu'il recueille l'ombre d'un dollar.
La guerre entre Edison, chaud partisan du courant continu, et Westinghouse fervent adepte du courant alternatif, décrite et mise en scène par Échenoz vaut son pesant de volts. Au passage l'un deux inventera la chaise électrique ...
Tesla joue plutôt les électrons libres entre les deux et finira par faire la fortune de Westinghouse : ce sera donc le courant alternatif !
Tout cela est plein d'humour, plein d'intérêt pour ce monde à mi-chemin entre science et industrie et l'écriture d'Échenoz est toujours aussi impeccable et lumineuse.
L'histoire de Tesla n'a peut-être pas la foulée épique et le souffle Historique de celle de Zatopek(1) mais nous tenons là un deuxième épisode(2) qui ne demande qu'à tomber entre vos mains.
(1) : ceux qui découvrent Échenoz commenceront donc par courir après Zatopek
(2) : en fait, le troisième : Échenoz a également écrit une pseudo-biographie de Ravel

Pour celles et ceux qui aiment les docteurs frankensteins.
Les éditions de minuit éditent ces 175 pages qui datent de 2010.
Les Éditions de minuit proposent intelligemment de découvrir en ligne les premières pages du roman : c'est ici.
Une bio d'Échenoz. Vincent en parle.

mercredi 1 décembre 2010

Un employé modèle (Paul Cleave)

Serial killer, down under.

Bien évidemment on ne pouvait pas résister à l'envie d'épingler un petit coeur dans un endroit insolite de notre carte du monde des polars : tout là-bas, down under, en Nouvelle-Zélande.
[...] La Nouvelle-Zélande est connue pour sa tranquilité, ses moutons et ses hobbits. Christchurch est connue pour ses jardins et sa violence.
C'est donc désormais chose faite grâce à Paul Cleave et son Employé modèle.
Et ça démarre très très fort : on vous livre ici les deux pages du premier chapitre qui valent leur pesant de kiwis.
Entrez, entrez, mesdames et messieurs, amateurs de serial killers, trucidages tordus,  meurtres en série et autres charcutages délirants, entrez, entrez et vous serez servis !
Mais tenez vous bien : vous n'aurez pas affaire à 1 serial killer mais à 2 ou 3 ! et tant qu'à faire, ce sera même l'un d'eux qui mènera l'enquête et pas la police de Christchurch, complètement dépassée par les événements et l'imagination foisonnante de Paul Cleave !
Joe, le technicien de surface du commissariat principal de Christchurch se fait passer à longueur de journée de bureau pour le débile attardé qu'il n'est pas et pendant ses heures de loisirs, il se livre à son hobby préféré : tueur en série.
Pas par pulsions meurtrière ou sexuelle, non. C'est son hobby, tout simplement (vous aussi, je suis sûr que vous avez un hobby, vous comprendrez) :
[...] Je ne souffre pas de compulsion à tuer tout le temps. Je ne suis pas un animal. [...] Je ne suis qu'un type normal. Un Joe moyen. Avec un hobby.
Et puis il a des circonstances atténuantes : il est bien esseulé et ses deux seuls amis sont ses poissons rouges, Cornichon et Jehovah.
Et puis une maman tyrannique qui n'a qu'une obsession : que son fils adoré ne devienne surtout pas gay et continue à venir manger chez elle son fameux pain de viande.
On ne vous en dit pas plus mais bien sûr, il n'y a rien de bien sérieux là-dedans : c'est pas pour rien que les Néo-Zed ont la tête en bas, et l'auteur lorgne plutôt du côté de Donald Westlake.
Malheureusement, après le démarrage en fanfare lu plus haut, le bouquin souffre de nombreuses longueurs pas toujours très utiles et Paul Cleave s'attarde un peu en route. Dommage qu'il n'ait pas su trouver ou garder le rythme infernal qui aurait convenu à son polar délirant. Une prochaine fois peut-être : c'est son premier roman.
Ah, j'allais oublier un avis important aux lecteurs (pas aux lectrices, ce passage a beaucoup fait rigoler MAM, mais moi pas du tout, mais alors pas du tout, y'a des “choses” pour lesquelles je n'ai aucun humour, aucun) : messieurs donc, vous lirez rapidement et en diagonale le chapitre 25 (l'horreur) et les deux ou trois suivants (les soins). En tout cas, arrangez-vous pour ne pas finir la soirée sur ces chapitres : vous ne pourriez pas vous endormir avant au moins la page 270, le temps que la douleur, même imaginée, s'estompe, croyez-moi ...
Ceci dit, reconnaissons à Paul Cleave d'avoir su trouver comment faire parler de lui de l'autre côté de la planète !

Pour celles qui aiment les serial killers (quant à “ceux” : ils auront été prévenus !). 
C'est Sonatine qui édite ces 422 pages parues en 2006 en VO et qui sont traduites de l'anglais par le courageux Benjamin Legrand (et oui, il a dû traduire une à une et mot à mot toutes les pages des chapitres 25, 26, 27, ...). 
Pimprenelle et Marguerite sont (un peu trop) enthousiastes, Pierre est plus mesuré, mais c'est un homme, il a souffert pendant plusieurs chapitres tout comme moi.

vendredi 19 novembre 2010

Les évadés de Santiago (Anne Proenza & Anne Proenza)

La grande évasion.

Avec Les évadés de Santiago, la journaliste Anne Proenza (journaliste à Courrier International, notre hebdo préféré) et le chilien Teo Saavedra nous racontent l'évasion spectaculaire d'une cinquantaine de prisonniers politiques de la prison centrale de Santiago du Chili.
C'était le 29 janvier 1990. Le Chili s'acheminait très lentement sur la voie de la démocratie, Pinochet n'était plus chef de l'état mais restait toujours aux commandes de l'armée et tirait encore les ficelles du pays.
Pour l'essentiel, les prisonniers venaient du Frente Patriotico (“Le Front”), le bras armé du Parti Communiste aux heures les plus sombres de la dictature. Certains d'entre eux avaient été capturés après l'attentat manqué contre Pinochet(1).
Même si l'on en connaît la fin, le bouquin est agencé comme un véritable polar, et même un double suspense.
Les chapitres alternent entre, d'un côté, les longs préparatifs de l'évasion(2) :
[...] - J'ai un plan. Un tunnel. Nous sommes à trente mètres de la rue, nous pouvons avancer d'un mètre et demi par jour. Si nous sommes six personnes à travailler, en un an, au pire en deux, nous sommes sortis.
et de l'autre côté, à rebours, les progrès de l'enquête du juge chargé, après les événements, de tirer au clair cette affaire et les éventuelles complicités dont auraient pu bénéficier les “terroristes” évadés :
[...]  « Nous allons marcher sur des oeufs pourris, monsieur le juge », ne put s'empêcher de murmurer le secrétaire d'Amaya , d'habitude plus réservé, après avoir lu le document officiel définissant leurs nouvelles responsabilités.
Cette construction mêle habilement les événements, les points de vue, tout en ménageant suspense et intérêt.
Ce livre est aussi l'occasion de voir ou réviser notre histoire contemporaine du Chili, de vivre ou revivre ces événements qui auront marqué beaucoup de français (les liens étaient étroits entre nos deux pays).
De découvrir ou re-découvrir certains aspects de la dictature “du Vieux” et de réaliser que, bien avant que la Grèce ne devienne le terrain de jeux de la banque Goldman Sachs, le Chili avait déjà servi de laboratoire d'expérience aux économistes ultra-libéraux : c'étaient l'époque des Chicago Boys de Milton Friedman.
Mais surtout, ce bouquin détaille le quotidien des prisonniers politiques : même mêlés aux détenus de droit commun, ils refusent leur situation et leur statut.
 
Ils ne sont pas là pour  “purger une peine” mais revendiquent d'être toujours en lutte contre le pouvoir et l'oppression, même depuis leur cellule.
Ils refusent la discipline carcérale, ils réclament (et obtiennent !) leurs droits à force de grèves de la faim.
Et bien sûr ils préparent leur évasion, réalisant en cela leur devoir de militants, prêts à reprendre la lutte.
Impressionnante (vraiment impressionnante) est la force collective de ces hommes torturés(3), brimés, bafoués, emprisonnés, qui passeront outre les peurs, les egos et les querelles de chapelle.
Une belle leçon d'histoire, d'engagement politique et de courage collectif.
Plus de vingt ans après, le contexte politique a beaucoup changé, c'est le moins qu'on puisse dire, mais comme ce récit est tout sauf un plaidoyer nostalgique à la gloire des valeureux militants, on tient là un très bon roman.
Une lecture qui nous fait paraître plus intelligent.
_______________________________
(1) : le 7 septembre 1986, le lance-roquettes embusqué aura le temps de tirer deux charges. Deux voitures seront pulvérisées. Pinochet se trouvait dans la troisième ...
(2) : les prisonniers mettront un an et demi à creuser leur tunnel !
(3) : le livre a su trouvé le juste chemin pour évoquer le chapitre de la torture sans aucun voyeurisme complaisant, faisant sans doute écho à la pudeur qui empêche ces hommes de trop parler des moments inhumains vécus ainsi.

Pour celles et ceux qui aiment les évasions. 
Le Seuil édite ces 300 pages parues en 2010. 
Une interview de Teo Saavedra.

mercredi 3 novembre 2010

American Express (James Salter)

Nouvelles des États-Unis.

Avec James Salter on découvre un auteur états-unien bientôt centenaire et visiblement réputé. Il était temps de rattraper notre retard.
American Express est un recueil d'une douzaine de nouvelles. Un recueil plutôt égal et équilibré au point que c'est même la répétition de ces petites tranches de vie qui fait le charme insolite de ce bouquin.
Des petites tranches d'histoires qui ne semblent avoir ni début, ni fin.
Le lecteur ne semble pas avoir de prise sur ces personnages insaisissables qui entrent par une page et sortent par une autre.
L'écriture de Salter est très distanciée et excelle à décrire par le menu les petits faits insignifiants qui, au final, signifient beaucoup plus qu'ils n'y paraissent.

[...] C'était une femme qui avait un certain style de vie. Elle savait donner des dîners, s'occuper des chiens, entrer dans un restaurant. Elle avait sa façon de répondre à des invitations, de s'habiller, d'être elle-même. D'incomparables habitudes, pourrait-on dire. C'était une femme qui avait lu, joué au golf, assisté à des mariages, qui avait de jolies jambes, qui avait connu des épreuves. C'était une belle femme dont personne ne voulait plus.

Relisez-moi un peu ça : chaque mot semble avoir été pesé et soupesé, jusqu'à la chute imparable.
Allez, on s'en refait une :

[...] Sa famille mangeait en silence, quatre personnes dans la tristesse d'un cadre bourgeois, la radio était en panne, de minces tapis couvraient le sol. Quand il avait terminé, son père se râclait la gorge. La viande était meilleure la dernière fois, disait-il. La dernière fois ? s'étonnait sa femme.
- Oui, elle était meilleure, maintenait-il.
- La dernière fois, elle n'avait aucun goût.
- L'avant-dernière fois, alors, disait-il.
Puis ils retombaient dans leur mutisme.
On n'entendait plus que le bruit des fourchettes, et, parfois, celui d'un verre. Soudain, le frère se levait et quittait la pièce. Personne ne levait les yeux.

Allez, encore une toute dernière, la dernière page de la première nouvelle, sa chute, souvent citée ici ou là :

[...] Elle a de petits seins et de grands mamelons.  Et aussi, comme elle le dit elle-même, un assez gros postérieur. Son père a trois secrétaires. Hambourg est près de la mer.

Voilà : c'est le point final déroutant de la première nouvelle Am Strande von Tanger (sur la plage de Tanger), débrouillez-vous avec ça. Insaisissable je vous dis.
Une écriture (trop ?) exigeante qui nous plonge sans prévenir dans une tranche de vie où s'entremêlent les souvenirs des personnages et qui, quelques pages plus loin, nous en ressort tout estourbi.


Pour celles et ceux qui aiment les nouvelles.
Points édite ces 207 pages parues en 1988 en VO et traduites de l'anglais par Lisa Rosenbaum.

mercredi 20 octobre 2010

Ru (Kim Thuy)

Telle mère, telle fille.

http://carnot69.free.fr/images/chinois.gifAprès vous avoir bassinés avec un été africain, on risque bien de vous imposer un automne vietnamien en prévision de notre voyage en décembre chez les Hmongs, Lô Lô et autres minorités ethniques des montagnes du nord-vietnam ... ! Allez, on commence ...
Kim Thuy est née à Saïgon pendant l'offensive du Têt. Elle quittera le Vietnam 10 ans plus tard en compagnie d'autres boat people. Depuis elle vit au Québec.
Elle a écrit Ru, son premier roman, en français.
Largement autobiographique, ce petit bouquin est comme un collage de souvenirs et d'époques : les derniers temps de l'opulence coloniale avant l'arrivée des communistes, la fuite en bateau jusqu'au Canada via les camps de réfugiés de Malaisie, la vie d'immigrante au Québec, puis ses deux enfants, son retour provisoire au pays de nombreuses années après, ... Kim Thuy entremêlent habilement de petites scènes vécues dans ces différents lieux à différents moments de sa vie. Le patchwork prend forme et se dessinent peu à peu quelques portraits : le sien bien sûr, mais également celui de sa famille, sa mère, Tante 7(1) un peu simplette ou encore l'incorrigible Oncle 2, play-boy désinvolte et charmeur ...
Bien sûr quitter le Vietnam dans ces conditions et à cette époque n'a pas été une excursion touristique : quelques scènes évoquent des souffrances et des blessures pas faciles à oublier ...
Mais l'auteure sait aussi nous faire partager quelques moments de pure poésie asiatique :
[...] J'allais au bord d'un étang à lotus en banlieue de Hanoï, où il y avait toujours deux ou trois femmes au dos arqué, aux mains tremblantes, qui, assises dans le fond d'une barque ronde, se déplaçaient sur l'eau à l'aide d'une perche pour placer des feuilles de thé à l'intérieur des fleurs de lotus ouvertes. Elles y retournaient le jour suivant pour les recueillir, une à une, avant que les pétales se fanent, après que les feuilles emprisonnées aient absorbé le parfum des pistils pendant la nuit.
Mais les plus belles pages sont celles qui évoquent son arrivée au Canada, il y a trente ans, et l'accueil que leur réservaient les québécois. Des pages à lire et relire, salutaires à notre époque où l'on se préoccupe plutôt d'élever des murs et de fermer les frontières.
[...] Ma première enseignante au Canada nous a accompagnés, les sept plus jeunes Vietnamiens du groupe, pour traverser le pont qui nous emmenait vers notre présent. Elle veillait sur notre transplantation avec la délicatesse d'une mère envers son nouveau-né prématuré. Nous étions hypnotisés par le balancement lent et rassurant de ses hanches rondes et de ses fesses bombées, pleines. Telle une maman cane, elle marchait devant nous, nous invitant à la suivre jusqu'à ce havre où nous redeviendrions des enfants, de simples enfants, entourés de couleurs, de dessins, de futilités. Je lui serai toujours reconnaissante parce qu'elle m'a donné mon premier désir d'immigrante,celui de pouvoir faire bouger le gras des fesses, comme elle. Aucun Vietnamien de notre groupe ne possédait cette opulence, cette générosité, cette nonchalance dans ses courbes.
Le bouquin est construit presque comme un journal intime, mélangeant les lieux et les époques. Intime est bien le mot : toute en pudeur, Kim Thuy essaie de se raconter.
Mais on ressort un peu frustré de ce petit bouquin avec l'impression d'avoir passé une charmante soirée avec une jeune femme asiatique agréable, à la conversation très intéressante, qui a su nous faire entrevoir plein d'épisodes de sa vie mouvementée, plein de petites choses curieuses d'autres lieux et d'autres époques et puis qui nous laisse page 143, bon, cher monsieur, il faut que j'y aille, ravie de vous avoir rencontré ...
Oui certes, mais, mais ... on aurait aimé plongé plus au cœur peut-être pas de la vraie vie de Kim Thuy, ne soyons pas indiscrets, mais au cœur d'un bon gros roman qui nous aurait emporté des heures, là-bas, autrefois.
À trop vouloir coller à sa propre réalité intime, l'auteure finit par se cacher, c'est bien naturel. D'ailleurs, elle en convient elle-même : petite, elle était l'ombre de sa cousine, plus grande, l'ombre de ses hommes ... Une histoire moins personnelle et plus romancée lui aurait permis de plus en raconter, en même temps que de mieux se cacher, ombre parmi ses personnages.
Mais ne boudons pas le plaisir à lire ces quelques belles pages, même peu nombreuses !
D'autant que deux autres livres sont en préparation : peut-être l'occasion de passer à nouveau une ou deux agréables soirées en compagnie de cette charmante dame ...
(1) : Kim Thuy nous dit qu'au Vietnam on préfère souvent les numéros (dans l'ordre des naissances) aux prénoms !

Pour celles et ceux qui aiment les immigrants.
Liana Levi éditent ces 143 pages parues en 2009.
Marie-Claire, À propos, Kathel, Jules et plein d'autres en parlent.

jeudi 14 octobre 2010

Du sang sur la neige (Levi Henriksen)

Laisse tomber la neige.

Encore un polar norvégien ? Du sang sur la neige de Levi Henriksen.
Et bien non, cette fois nous ne rangerons pas ce bouquin au rayon policiers(1).
Non pas qu'il s'agisse d'une sous-classe dévaluée, tous ceux qui viennent picorer à notre table savent à quel point on goûte la littérature dite policière, mais ce bouquin n'a vraiment rien d'un thriller et l'éditeur français a certainement voulu profiter de la vague qui nous a tous emportés.
L'ambiance de cette petite bourgade de la forêt norvégienne se situe plutôt quelque part entre la sombre Islande d'Indridason et les Chaussures italiennes de Mankell.
On a connu des références moins flatteuses !
L'écriture de Levi Henriksen (rocker norvégien de son état) n'atteint pas encore les cimes de ses illustres aînés(2) mais ce n'est là que son premier roman en français (le quatrième chez lui) et si l'on en croit cette fournée, le futur est prometteur !
Alors que se passe-t-il cet hiver-là à Skogli ?
Et bien Dan sort tout juste de prison (vieille histoire de trafic de drogue) et découvre que son frère bien aimé s'est suicidé. Ils étaient très proches, ayant perdu leurs parents trop jeunes.
La maison est vide et il n'y a pas de femme pour attendre notre Dan. Mais plutôt un flic teigneux et l'ancien complice qui lui, n'était pas allé en taule. Ça va plutôt mal. Dan tourne en rond et broie du noir.
L'autre personnage du bouquin c'est l'hiver et Henriksen est un peu au climat littéraire de la Norvège ce qu'Indridason est à celui de l'Islande : fuyez vers les tropiques, ne venez surtout pas nous voir, il fait chez nous un temps de chien !

[...] Le thermomètre affichait moins vingt quand il était parti, mais dans la forêt, au milieu des arbres, il devait faire un peu plus doux - moins quinze peut-être. Un peu plus doux qu'ils disent, les norvégiens, je retiens la formule pour février prochain !

Ou encore, un peu plus loin :

[...] Il avait oublié à quel point un hiver dans les terres pouvait être pénible, qu'il était impossible d'ignorer cette saison comme dans les villes. Il n'y avait ici aucun tram, bus ou train dans lequel monter quand les voitures ne démarraient pas. L'hiver n'était pas éclairer par l'asphalte et les immeubles, mais il vous guettait chaque matin derrière la fenêtre de la cuisine, comme un grand vide.

Oui, l'hiver habite vraiment ce roman et l'on touche d'un doigt frileux la vie quotidienne de ces peuples nordiques : chauffe-moteur, pulls, pneus neige, sauna, poêles à bois ou à mazout (y'a même des poêles dans les camions !).
Pour le reste, l'ami Dan est en pleine dérive et tente péniblement de se reconstruire et d'échapper aux souvenirs trop présents : son frère disparu il y a peu, leurs parents perdus trop tôt ...
Papa était pasteur pentecôtiste : encore un autre aspect méconnu des pays nordiques, rappelons-nous de L'horreur boréale de la finlandaise Asa Larsson.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifDan croise deux autres personnages, un oncle cul de jatte et une jeune femme du pays (et oui, quand même !) et cela nous vaut quelques très belles scènes (ah, le Noël avec tonton au resto de la gare de Charlottenberg avec deux jeunes asiatiques de petite vertu) dignes des Chaussures italiennes que l'on citaient plus haut.
Un roman pas banal, attachant et un univers très personnel mais dans lequel on se laisse emporter sans difficulté (mais chaudement habillé).
Celles et ceux qui voudraient absolument goûter au polar norvégien iront plutôt du côté de chez Jo Nesbo.

(1) : il n'y a d'ailleurs pas de sang dans le titre du bouquin en VO qui pourrait se traduire par “la neige qui tombe va recouvrir celle déjà tombée” [Snø vil falle over snø som har falt]
(2) : aînés en littérature du moins, car il a pratiquement le même âge qu'Arnaldur Indridason (Mankell est plus vieux, lui !)


Pour celles et ceux qui aiment le froid et l'hiver.
Les presses de la cité éditent ces 355 pages parues en 2004 en VO et traduites du norvégien par Loup-Maëlle Besançon.
Melisender en parle.

dimanche 10 octobre 2010

Ce que je sais de Vera Candida (Véronique Ovaldé)

Telle mère, telle fille.

Avec ce qu'elle sait de Vera Candida, Véronique Ovaldé nous conte une fable baroque et colorée dans une amérique latine imaginaire.
Une mini-saga, depuis la grand-mère (Rose) à la petite-fille (Vera Candida), en passant par une mère (Violette) un peu demeurée. Et même jusqu'à la génération suivante (la petite Monica Rose).
Une histoire agitée : la grand-mère Rose exerçait le plus vieux métier du monde et la Violette un peu simplette était du genre facile.
Heureusement, Vera Candida trouvera, un temps du moins et après quelques péripéties dignes de ses aïeules, un peu d'amour auprès du bel Itxaga :
[...] On lui aurait annoncé qu'il ne pourrait jamais coucher avec Vera Candida mais qu'il aurait le droit de rester avec elle sa vie durant, Itxaga aurait signé immédiatement. Il se rendit compte que ce qu'il voulait faire le plus intensément du monde c'était lui rendre service. Il se dit, Je vieillis. Merde.
Mais Véronique Ovaldé souffre, comme beaucoup de ses confrères de l'hexagone, du syndrome aigü de l'écrivain-français-à-la-mode et se croit donc obligée, sans doute pour faire branchée in, de faire des effets de mots entre chaque virgule.
C'est parfois adroit et bien venu :
[...] Pendant des années, quand Monica Rose s'assoirait sur le canapé entre Vera Candida et Itxaga, elle se serrerait conte eux, bougerait son minicul comme si elle faisait un nid, les prendrait par le bras et dirait, On est bien tous les deux.
La première fois, Vera Candida rectifierait, On n'est pas deux, on est trois.
Et Monica Rose répondrait, On est bien quand même.
Mais il faut bien avouer qu'au fil des pages, on se lasse. Je dis, On se lasse.
Reconnaissons à la décharge de dame Ovaldé que Vera Candida est arrivée après les fraîches et limpides Prodigieuses Créatures : ça ne pardonne pas et le chalenge était difficile à relever. Deux histoires de femmes écrites par des femmes : l'une nous a véritablement emporté sur les plages anglaises du XIX°, l'autre nous aura amusé ... quelques pages.
La fable de Vera Candida ressemble plutôt à celle que Carole Martinez nous avait déjà contée en Espagne avec son Cœur cousu : mêmes qualités ... et mêmes défauts.

Pour celles et ceux qui aiment les tropiques.
Les éditions de l'olivier éditent ces 293 pages parues en 2009.

vendredi 1 octobre 2010

Prodigieuses créatures (Tracy Chevalier)

Sous la plage, les coquillages.

Voilà bien un livre intéressant : Prodigieuses créatures de l'américaine Tracy Chevalier qui s'amuse à rendre hommage à Jane Austen, la romancière anglaise du début du XIX°.
Nous voilà donc transportés vers 1810 (au temps des guerres napoléoniennes), au pied des falaises anglaises. Après un revers de fortune, trois jeunes femmes qui savent qu'elles finiront vieilles filles se retrouvent exilées dans une bourgade du bord de mer, loin des mondanités londoniennes auxquelles elles étaient habituées.
L'une d'elles, Elizabeth, se promène le long des plages et aime à « chasser » le fossile mis à nu par les éboulements de falaises.
[...] Nous étions à peine installées à Morley Cottage qu'il devint évident que les fossiles allaient devenir ma passion. Je devais en effet m'en trouver une : j'avais vingt-cinq ans, peu de chances de me marier un jour, et besoin d'un passe-temps pour occuper mes journées. Il est parfois extrêmement assommant d'être une dame.
[...] Je me mis à hanter les plages de plus en plus fréquemment, même si, à l'époque, rares étaient les femmes qui s'intéressaient aux fossiles.
[...] On ne saurait nier que les fossiles constituent un plaisir insolite. Tout le monde ne les apprécie pas car ce sont des restes de créatures défuntes.
Le long des plages, elle rencontre Mary, une jeunette de basse extraction, habile à repérer les plus beaux et les plus rares spécimens d'ammonites ou de bélemnites ... et à les revendre comme « curios » aux touristes pour faire bouillir la marmite.
On pourrait se demander, au début, ce qu'on est venu faire dans cette Angleterre compassée en compagnie de ces vieilles filles échouées dans une petite ville balnéaire.
Mais on reste accroché après quelques pages par la très belle écriture de Tracy Chevalier. Et puis très vite, au fil des premiers chapitres, on découvre avec bonheur qu'il y a plusieurs niveaux de lecture dans ce roman, finement et habilement entremêlés.
L'histoire mouvementée de l'amitié entre les deux jeunes femmes : deux âges différents, deux milieux différents, la rencontre est riche d'enseignements.
[...] Comment une femme de vingt-cinq ans appartenant à la bourgeoisie pouvait-elle envisager une amitié avec une gamine de la classe ouvrière ?
L'histoire de ces deux jeunes femmes trop en avance sur leur temps, trop indépendantes pour la société pré-victorienne britannique confite dans ses préjugés. Ce roman est aussi l'histoire de leur émancipation progressive et relative.
[...] À certains égards, je jouissais de plus de liberté que les filles de bonne famille qui avaient trouvé à se marier.
Et enfin l'Histoire tout court de la découverte de ces fossiles, de ces animaux disparus : ichtyosaure (i.e. poisson-reptile), plésiosaure (i.e. presque-reptile), ... qui, en remontant à la surface, venaient doucement mais sûrement bouleverser l'ordre établi des choses.
[...] C'était une idée trop radicale pour la plupart des gens. Même moi, qui m'estimais large d'esprit, j'étais un peu choquée de la prendre en considération, car elle sous-entendait que Dieu n'avait pas réellement réfléchi à ce qu'Il allait faire de tous les animaux qu'Il avait créés. S'Il était disposé à laisser des créatures disparaître sans sourciller, qu'est-ce qu'une telle indifférence impliquait pour nous ?
Et bientôt Darwin succèdera à Cuvier ...
De leur gangue de pierres et de sédiments sortent les prodigieuses créatures qui enflamment les esprits scientifiques de l'époque.
De leur gangue de bienséance et de préjugés sociaux émergent également deux prodigieuses créatures féminines.
Ces trois clés de lecture (l'amitié entre les deux femmes, la condition des femmes de cette Angleterre, les doutes scientifiques de l'époque), judicieusement entrelacées, sont passionnantes. On retrouve ici le parfum qu'on avait déjà respiré avec la québécoise Dominique Fortier et son traité du Bon usage des étoiles qui se situait à peine quelques années plus tard(1).
Et d'ailleurs, tout comme Dominique Fortier, l'américaine Tracy Chevalier s'est inspirée de personnages et de faits bien réels.
Un roman plein d'intelligence et d'humanité. Une écriture pleine de fraîcheur et de douceur.
Si l'on veut tirer le fil épistémologique, on peut aussi continuer avec La conspiration Darwin.
(1) : et décidément, à la relecture du billet sur le Bon usage des étoiles, les deux romans partagent bien des points communs.

Pour celles et ceux qui aiment les coquillages.
C'est le Quai Voltaire qui édite ces 376 pages parues en 2009 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Anouk Neuhoff.
Alwenn, Stemilou, Nini en parlent.

jeudi 23 septembre 2010

Mississippi (Hillary Jordan)

Que la bête meure.

Décidément, on n'en finit pas de fréquenter l'Histoire des noirs américains.
Après L’oiseau Moqueur, après les Rues de feu, voici la période intermédiaire, pile entre les deux, avec Mississippi de Hillary Jordan.
De ces trois bouquins, c'est L'Oiseau moqueur de Ann Harper Lee qui emporte la palme, haut la main, et Mississippi est malheureusement loin de pouvoir rivaliser avec, malgré le parrainage de Barbara Kingsolver. Mais restons indulgents, ce n'est que le premier roman de Dame Jordan.
Ça commence avec la Guerre (celle de 40) et ça se termine sur les premiers pas de Martin Luther King, vague lueur d'espoir après une histoire très sombre.
Un bouquin qui s'ouvre sur une scène dantesque (la scène finale, en fait) avec deux frères qui, sous un déluge de pluie, creusent dans la gadoue la tombe de leur père :

[...] J'entrais dans la maison quand le marteau s'est abattu sur le premier clou en un bruit délicieusement  irrévocable qui a fait sursauter les enfants.
« C'est quoi ça, maman ? a demandé Amanda Leigh.
- C'est ton papa qui ferme le cercueil de Pappy.
- Il va se fâcher ? » a murmuré Bella effrayée.
Laura m'a jeté un petit coup d'œil farouche.
« Non, ma chérie, a-t-elle répondu. Pappy est mort. Il ne se fâchera plus jamais. Maintenant, mettez votre manteau et vos bottes. Il est temps de porter votre grand-père en terre. »
Heureusement qu'Henry n'était pas là pour entendre la satisfaction dans sa voix.

Visiblement encore une histoire de famille pas très unie. Laura épouse Henry, l'un des deux frères. Ils quittent la ville (Memphis) pour aller s'embourber dans une ferme perdue au cœur du delta du Mississippi. Bientôt ils sont obligés de recueillir le père d'Henry, ce vieux con raciste (et bien sûr adepte du KKK à ses heures perdues) qu'on est si content d'enterrer, à la fin.
Pouce baissé Mais ce roman d'Hillary Jordan est vraiment trop caricatural : la descente aux enfers de la gentille Laura n'en finit pas.
Les gentils noirs de la masure d'à côté, le vieux con raciste qui fait chier tout le monde, même ses propres fils, la belle-fille qui a dû abandonner son piano et qui méritait mieux que de finir les deux pieds dans la gadoue, snif !
C'est too much et ça manque beaucoup trop de subtilité. Dommage.
Deux aspects sauvent quand même le bouquin.
Pouce levé Le premier c'est le rappel historique sur tous ces noirs partis guerroyer en Europe contre les nazis. Souvent envoyés en première ligne (façon tirailleurs sénégalais) par des généraux aussi racistes sur notre front de l'Est qu'ils l'étaient l'année précédente dans leur propre Sud.
Sauf que tous ces soldats noirs seront bientôt acclamés comme tous les GI's par les européens libérés : ils se retrouveront fêtés par des blancs, courtisés par des blanches, applaudis et respectés comme ça ne leur était jamais, mais alors jamais, arrivé.
C'était pas vraiment prévu et on sait maintenant que, de retour au pays, ils contribueront pour beaucoup à grossir les rangs des partisans de Martin Luther King.
L'autre aspect intéressant du roman, c'est la peinture crue et rude de ces gens du Sud qui, noirs comme blancs, sont amoureux de leur terre. Une terre grasse et boueuse(1). Si on savait déjà que c'est la mer qui prend l'homme et non l'inverse, Hillary Jordan nous prouve ici que la terre aussi peut prendre certains d'entre nous. Noirs comme blancs, la terre n'est pas regardante sur la couleur de peau.
Le reste, on l'a dit, est une sombre et désolante histoire : l'histoire de la bêtise humaine dans laquelle on s'enlise et on s'enfonce un peu plus à chaque chapitre, comme dans la gadoue du delta. C'est inéluctable mais aussi très prévisible.
Forcément, ça finira mal, très mal et c'est pas les noirs qui auront le dessus, c'est sûr.

(1) : en VO, le titre est Mudbound, quelque chose comme les liens de la boue, comme on dit des liens du sang ...


Pour celles et ceux qui aiment les histoires sombres avec des noirs.
C'est Belfond qui édite ces 365 pages parues en 2008 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Michèle Albaret-Maatsch.
Pierre et Dédale en parlent.

mardi 14 septembre 2010

Les rues de feu (Thiomas H. Cook)

La croisade des enfants.

Historiquement, ce bouquin pourrait être la suite de L'oiseau moqueur.
Ann Harper Lee avait écrit son best-seller dans les années 60 en pleine campagne des noirs américains pour leurs droits civiques.
Thomas H. Cook a écrit son polar, Les rues de feu, plus récemment (1989) mais il relate précisément les faits de 1963 à Birmingham, Alabama, d'où il est natif. Il avait 16 ans à l'époque où Martin Luther King entraînait ses concitoyens à la conquête pacifique de leurs droits pour obtenir la fin de la ségrégation.

[...] Les sit-in dans les cafétérias ségrégationnistes des grands magasins et les défilés de masse en plein cœur du quartier des affaires avaient transformé la ville en zone d'émeute.

Dans cette ambiance explosive, en plein été, pendant que tous ses collègues forment le dernier carré de l'ordre blanc, Ben, flic blanc et intègre - oui ! c'était lui qui occupait seul cette fonction cette année-là à Birmingham, Alabama - Ben donc, s'obstine à vouloir découvrir l'assassin d'une fillette découverte morte dans un terrain vague.
Un petit détail quand même : la fillette était black ...
Les amateurs de polars peuvent sans doute changer de rue (l'avenue Martin Luther King !) car si ce bouquin vaut le détour, c'est bien sûr pour la description du contexte social de l'époque et du lieu.
Thomas H. Cook est prof. d'Histoire et met en scène des faits réels : la croisade des enfants a bien eu lieu cette année-là à Birmingham pour contrer les vues d'un préfet va-t-en-guerre.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires avec de l'Histoire dedans.
C'est Folio Policier qui édite ces 437 pages parues en 1989 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Tom Nieuwenhuis.
Kathel a bien aimé également. Wiki parle des événements de Birmingham et de Martin Luther King.

dimanche 12 septembre 2010

Le chemin des âmes (Joseph Boyden)


Le mythe du windigo.

Ah quel plaisir exquis quand, au bout d'une vingtaine de pages, on se dit : purée, là on en tient un bon, un grand !
On avait lu le plus grand bien du roman du canadien Joseph Boyden : Le chemin des âmes, et on n'a pas été déçus. Avis unanime et partagé de MAM et BMR : un très beau roman qui finira très certainement sur notre podium 2010.
Une écriture simple mais ample, à l'américaine, avec une puissance d'évocation peu commune.
Un roman fort autour de trois personnages riches et complexes : deux indiens crees d'Amérique du nord, enrôlés dans l'armée canadienne venue lutter dans la Somme et l'Artois contre les teutons pendant la Grande Boucherie Guerre, celle de 14-18. Deux amis inséparables. Et la tante de l'un deux, une vieille sorcière cree.
Une histoire admirablement construite autour de trois récits qui s'entrecroisent avec une surprenante fluidité pour mieux nous faire découvrir les multiples facettes des trois personnages. Le livre s'ouvre sur un quiproquo(1) : de nos deux jeunes indiens partis au front, seul l'un d'eux revient au pays, une jambe en moins et la tête en vrac, alors que sa vieille tante Niska n'était venue à Toronto que pour ramener son ami au pays.

[...] « On m'avait dit que étais morte, ma tante.
- On m'avait dit la même chose. »

Ils quittent Toronto en canoë pour un long voyage de trois jours (et trois longues nuits) vers leurs terres, au cours duquel la vieille Niska ressort ses secrets, ses pratiques et ses médecines pour tenter d'apaiser l'âme brisée de son neveu. Un voyage qui fera ressurgir deux autres récits.
Tout d'abord, la jeunesse de nos trois indiens, au début du siècle sur ces terres convoitées où certains se rebellent encore contre la christianisation forcée ou la ghettoïsation dans les réserves.
Les crees tentent encore de préserver leurs traditions comme par exemple le mythe du windigo destiné à maintenir le tabou sur le cannibalisme : pour ce peuple de chasseurs, l'hiver enneigé est parfois trop long pour joindre les deux bouts et il n'est pas rare de devoir mettre les mocassins à bouillir dans la soupe(2). Aussi lorsque la saison de chasse est vraiment trop mauvaise, la tentation est parfois trop forte et l'innommable est commis, souvent entre proches, par exemple lorsqu'une mère tente de sauver ses petits.

[...] Savoir qu'on a attenté à la dignité d'un être cher ; que l'on a, poussé par le désir féroce de survivre, commis un acte qui vous met à jamais au ban des vôtres, c'est un métal très dur à avaler, bien d'avantage que la première bouchée de chair humaine.

Le père de Niska possèdait les talents requis pour chasser ces êtres devenus des windigos, une sorte de loup-garou local. Niska a hérité de ce don : elle est devenu tueuse de windigos.
Le troisième récit, c'est bien entendu l'épouvantable épopée des deux jeunes indiens sur nos terres à nous, jusqu'à la terrible Crête de Vimy près de Lens, où périrent 60.000 canadiens (oui, vous avez bien lu : soixante-mille canadiens !).

[...] « Tu veux que je te dise, ma tante ? » Et je reprends un peu d'eau. « Il y a tellement de morts enterrés  là-bas que si les arbres repoussent, les branches porteront des crânes. »

Nos deux crees sont d'habiles chasseurs, on l'a vu. Des recrues de choix pour crapahuter entre les tranchées et les barbelés, s'embusquer silencieusement, patienter toute une nuit sans bouger ni se faire repérer et au petit jour dégommer à la lunette quelques officiers ennemis avant de revenir en évitant les obus. Des snipers au tableau de chasse impressionnant.
Mais des tranchées, on sait que les rares qui en reviendront, ne rentreront pas indemnes.
Beaucoup y perdront leur intégrité physique.

[...] Un obus est tombé trop près. Il m'a lancé dans les airs et, soudain, j'étais un oiseau. Quand je suis redescendu, je n'avais plus de jambe gauche. J'ai toujours su que les hommes ne sont pas faits pour voler.

Tout comme leur intégrité mentale : beaucoup finiront accros à la morphine.

[...] Chaque fois que les brancardiers arrivent en sens inverse, il faut se tasser contre le parapet. J'essaie de ne pas regarder les blessés  qu'on emporte ; mais à l'occasion, je baisse les yeux et je découvre un visage ou bien convulsé de douleur, ou bien marqué du M jaune indiquant qu'on lui a donné la médecine et qu'il rêve, maintenant, de l'autre monde.
[...] Le seul fait de prendre une seringue dans ma trousse, et de tendre le bras, me soulage presque autant que la morphine elle-même.

Mais le roman de Joseph Boyden n'est pas qu'un récit de guerre de plus, loin s'en faut, et malgré l'horreur des tranchées on devient très vite accro, non pas à la morphine, mais à l'histoire qu'il nous conte. Sans doute parce que ses trois personnages (tout comme son écriture) sont lumineux et que, malgré les terribles souvenirs qui remontent, on se sent étonnamment bien aux côtés de la vieille sorcière cree au fond du canoë. Et l'on voudrait que le voyage de retour dure encore.
On ne peut pas vous en dire plus sur ces histoires de windigos(3) ni comment les légendes indiennes croiseront l'épouvantable réalité des tranchées ... Il vous faudra faire un éprouvant mais enrichissant voyage de trois jours en compagnie de la vieille Niska, de son neveu et du souvenir de son ami Elijah.
Three-day road : c'est le titre original.

[...] Tu m'as enseigné, Niska, que tôt ou tard, chacun de nous devra descendre, trois jours durant, le chemin des âmes.

Puisque dans les mythes crees, ce chemin des âmes(4) c'est un peu le Styx de nos anciens. 
Comme pour nous, il vous faudra à coup sûr quelques jours, après avoir refermé ce livre, avant de pouvoir ouvrir un autre bouquin ... on ne revient pas facilement des terres indiennes de Joseph Boyden.

(1) : et se clôturera sur l'explication de ce malentendu lorsque les sorts des trois personnages se retrouveront indissolublement liés et entrecroisés.
(2) : d'autant que l'avidité des européens pour les fourrures fait que les trappeurs indiens eux-mêmes accélèrent la disparition de leurs propres ressources en gibier.
(3) : mais vous pouvez lire Wikipedia
(4) : évidente allusion du titre français au terrible Chemin des Dames, c'était tout à côté.


Pour celles et ceux qui aiment les légendes indiennes (et pas que celle de Pocahontas).
C'est Le livre de poche qui édite ces 471 pages parues en 2004 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Hugues Leroy.
Beaucoup d'avis unanimes : Blake, Kathell, Sophie, Papillon, ...
D'autres avis sur Critiques Libres, un autre site ici parle de Joseph Boyden.

samedi 11 septembre 2010

Les visages (Jesse Kellerman)

Woody Allen mène l’enquête.

L'écrivain Jesse Kellerman avait un destin tout écrit (si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots) puisqu'il n'est autre que le fils des auteurs(1) Jonathan et Faye Kellerman.
A priori, d'après ce qu'on avait lu de ci delà, ce premier roman du rejeton de la famille Kellerman, Les visages, devait dépasser de loin les écrits du papa qui envahissent le rayon thrillers des relais de gare.
Ça commence plutôt bien dans le milieu judéo-artiste de New-York, avec humour et auto-dérision, un milieu qui rappelle un peu Siri Hustvedt (la femme de Paul Auster) mais en plus léger quand même, beaucoup plus léger.
Comme ici lorsque Ethan, le héros, évoque ses relations plutôt distendues avec son père ...
[...] Je n'avais aucune intention de restaurer les ponts entre nous ; quand mon père construit un pont, vous pouvez être sûr qu'il y aura un péage au milieu.
Ethan Muller est donc l'héritier d'une grande et riche famille juive américaine. Dernier de la lignée impériale des Muller, il est marchand d'art à TriBeCa, quartier chébran de Big Apple.
Voilà qu'un beau jour il tombe (par hasard ?) sur des cartons et des cartons emplis de milliers de dessins minutieux, pointilleux, obsessionnels, dont l'auteur, Victor, a disparu. Sur l'un de ces dessins (au centre d'un gigantesque puzzle) : les visages dessinés de cinq enfants assassinés il y a quelques années, victimes d'un serial killer jamais arrêté.
[...] « On dirait des trucs que Francis Bacon aurait pu dessiner en prison. »
[...] « Tu ne peux pas nier qu'il y a un aspect de démence dans son œuvre. Sa façon obsessionnelle de remplir chaque centimètre carré de papier ... Et puis il n'y a qu'un fou pour dessiner pendant quarante ans et tout planquer dans des cartons. »
La comédie intello new-yorkaise vire au polar, façon Woody Allen mène l'enquête.
Découvrir la clé du puzzle, retrouver l'artiste des dessins, clôturer l'enquête de ces meurtres non résolus ... cela devient rapidement une obsession pour Ethan qui délaisse peu à peu sa galerie et sa copine Marilyn (elle aussi galeriste et intello, et encore plus branchée).
La légèreté initiale de l'histoire (et de l'écriture) est traversée de quelques fêlures, quelques fulgurances.
Comme la rencontre d'Ethan avec l'ancien flic qui s'était occupé de ces affaires non closes, flic désormais à la retraite avec un cancer très très avancé(2).
Comme la soirée où Ethan et Marilyn se redécouvrent l'un l'autre, mais sans doute trop tard.
On commence à se douter que derrière la comédie superficielle pointe autre chose ...
Ethan le reconnait lui-même :
[...] Vous avez donc le tableau, une nette dichotomie : Marilyn, ma galerie et mon travail officiel d'un côté; et, de l'autre, Samantha, Victor et cinq enfants morts. Je vous en ai fait une jolie petite histoire que je vous ai servie sur un plateau de symbolisme. Mais vous ne pourrez jamais tout à fait comprendre à quel point cet hiver m'a changé en profondeur, car encore aujourd'hui, je ne le comprends pas moi-même.
Entre les chapitres, de courts intermèdes nous racontent les étapes de la saga de la famille Muller depuis les origines ... C'est pas bien gai. C'est jamais trop joli joli les histoires et les secrets de famille ...
Évidemment, la saga familiale finira par expliquer l'histoire des dessins mystérieux ... et l'allusion au père d'Ethan au début du roman (et au début de ce billet) n'est pas dûe au hasard.
Les amateurs de vrais polars et de serial killers seront sans doute déçus. Ce qui fait le charme de ce bouquin c'est bien le côté original de l'intellectuel new-yorkais, encore et toujours traumatisé par le 11 septembre(3), un côté amusant et agaçant, ... alors on aime ou on n'aime pas.
Difficile à classer, ce roman, plus qu'un polar, est avant tout une histoire de famille.
Comme ces artistes intellos, le style de Jesse Kellerman semble bien un peu superficiel : on le regrette d'autant plus qu'on le sent bien à certains moments capable d'aller gratter au plus profond de l'âme humaine.
Un bouquin curieux pour les curieux.
(1) : auteurs de ses jours, mais ça ferait un autre mauvais jeu de mots. Ça ferait trop, non ?
(2) : il a un cancer, ça c'est pas gai, mais aussi une jolie fille Samantha, une procureure qui plait bien à Ethan, ça c'est plus sympa.
(3) : tiens, on a juste fini le bouquin le 11.9.2010 ...

Pour celles et ceux qui aiment New-York.
C'est Sonatine qui, décidément, fait encore très fort après Vendetta et qui édite ces 472 pages parues en 2008 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Julie Sibony.
D'autrs avis sur Critiques Libres.