[...] C’était possible d’arriver jusqu’à la Lune ?
Ce qui m'appartient est le premier roman de Bortoluci, autobiographique, dans lequel il nous raconte son père camionneur sur les routes sans fin du Brésil.
L'auteur, le livre (240 pages, avril 2024, 2023 en VO) :
José Henrique Bortoluci est un nouvel auteur venu du Brésil : quatrième génération d'émigrés italiens depuis son arrière grand-père dans les années 1910, c'est le premier à bénéficier vraiment du fameux ascenseur social. Après des études de sociologie aux États-Unis, il enseigne aujourd'hui à São Paulo. Un transfuge de classe pour reprendre une expression en vogue.
♥ On aime :
• De 1965 à 2015, le père de José, un homme que tout le monde appelle Didi (ou Jaù, son village), parcourt pendant cinquante ans les routes et les pistes du pays au volant de son camion. Un petit artisan, jusqu'ici anonyme, de la colonisation de l'Amazonie et de la destruction de ses ressources écologiques.
• Bortoluci n'a pas voulu écrire une biographie de son père, encore moins le récit de sa propre enfance. À travers le portrait de Didi, il dessine plutôt en creux celui de son pays, par petites touches impressionnistes, une photographie de ci, une lettre de là, ...
• "Bien qu’il ait passé des années de sa vie sur les chantiers colossaux qui servaient de carte postale au régime, mon père parle peu de la dictature". C'est donc le fils qui se charge, au fil des pages, entre deux anecdotes, de mettre en perspective la petite histoire individuelle et de l'inscrire dans la grande Histoire du pays : instructif et éclairant.
Mais à trop vouloir expliquer et analyser la trajectoire de son père (et finalement la sienne), José Henrique Bortoluci passe peut-être à côté d'un grand roman : les pages les plus émouvantes sont quand même celles du camionneur qui raconte ses anecdotes, frasques et aventures.
[...] L’histoire de ma famille est une petite pièce du puzzle de la classe ouvrière transatlantique – et dans notre cas d’une classe ouvrière blanche.
Aujourd'hui malade et contraint au repos, Didi aimerait bien savoir si "il serait possible de faire le tour de la Terre avec la distance qu’il avait parcourue en tant que chauffeur routier. Et si c’était possible d’arriver jusqu’à la Lune ?".
Une vie monotone, répétitive mais pas banale, et qui a de quoi attirer le lecteur européen avide de grands espaces et curieux de cet immense pays revenu sur la scène de l'actualité depuis quelques années.• Bortoluci n'a pas voulu écrire une biographie de son père, encore moins le récit de sa propre enfance. À travers le portrait de Didi, il dessine plutôt en creux celui de son pays, par petites touches impressionnistes, une photographie de ci, une lettre de là, ...
Un tableau fait d'interviews (réalisées pendant le Confinement !), de quelques pages du journal maternel et bien sûr des interventions et commentaires de sa part, en bon sociologue soucieux de comprendre l'évolution de son pays et de la classe ouvrière blanche brésilienne.
Il dit s'être emparé de l'idée des "biographèmes" de Roland Barthes, ces anecdotes mineures, d'apparence insignifiantes mais qui peuvent en dire beaucoup..• "Bien qu’il ait passé des années de sa vie sur les chantiers colossaux qui servaient de carte postale au régime, mon père parle peu de la dictature". C'est donc le fils qui se charge, au fil des pages, entre deux anecdotes, de mettre en perspective la petite histoire individuelle et de l'inscrire dans la grande Histoire du pays : instructif et éclairant.
Mais à trop vouloir expliquer et analyser la trajectoire de son père (et finalement la sienne), José Henrique Bortoluci passe peut-être à côté d'un grand roman : les pages les plus émouvantes sont quand même celles du camionneur qui raconte ses anecdotes, frasques et aventures.
• Didi est aujourd'hui atteint d'un pénible cancer, et les pages sur la maladie reviennent fréquemment et sans tabous, signe de l'appréhension du fils devant la disparition prochaine du père, peut-être signe de l'inquiétude de l'homme devant son propre devenir (l'auteur a quarante ans et la maladie aurait des gènes héréditaires), et signe assurément des désordres qui rongent le pays parce que "le cancer suit également une logique coloniale".
• Outre Annie Ernaux qui dans son oeuvre, tente elle aussi de comprendre la classe dont elle est issue, l'auteur cite également la biélorusse Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2011) qui considère que, jusqu'ici notre humanité mesurait l'horreur suprême à l'aune des guerres, mais que nous sommes désormais entrés dans l'ère des catastrophes. Une auteure que l'on avait découvert avec La Supplication, son roman choral sur les survivants de Tchernobyl. Voilà qui donne un goût amer aux aventures de Didi.
Pour celles et ceux qui aiment les routiers.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Grasset (SP).
Ma chronique dans Actualitté, Benzine et dans 20 Minutes.
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