vendredi 4 avril 2025

Bons baisers de Tanger (Melvina Mestre)


[...] Mission Danger à Tanger !

Troisième aventure de la détective privée marocaine Gabrielle Kaplan.
Une intrigue au parfum entêtant de voyous et d'agents secrets : Tanger nid d'espions !
Révisez vos classiques !

L'auteure, le livre (240 pages, avril 2025) :

Melvina Mestre a vécu son enfance à Casablanca (elle est née en 66).
Elle est l'auteure d'une série policière qui se déroule dans le Maroc des années 50 et qui a pour héroïne, une détective privée : Gabrielle Kaplan.
Après Casablanca, après Marrakech, Gabrielle Kaplan nous envoie de Bons baisers de Tanger pour sa troisième enquête.

Le contexte :

Tout comme dans les chapitres précédents, l'enquête policière sert de toile de fond pour nous immerger dans le Maroc des années 50, en pleine mutation sous l'influence américaine, alors que la métropole française peine encore à se remettre des pénuries et privations d'après-guerre.
Après Casablanca et Marrakech (les deux épisodes précédents), Melvina Mestre et son héroïne Gabrielle nous embarquent à Tanger"cette ville-monde, ville de tous les trafics"
Bien que le Maroc fût en grande partie sous protectorat français à cette époque, le nord du pays restait sous domination espagnole (Ceuta et Mellila sont aujourd'hui encore les témoins de cette division), mais l'enclave de Tanger jouissait d'un statut singulier : c'était une "zone internationale et ville franche" depuis l'accord international de 1924. 
"En deux mots, un paradis fiscal", et donc la base de tous les trafics avec l'Europe.
Une Europe où la guerre froide n'est pas encore devenue la coexistence pacifique et où le statut de la zone internationale de Tanger en a fait un véritable nid d'espions.
À cette époque "le Maroc est considéré par le SDECE comme une base de repli en cas d’invasion et d’occupation de la métropole par les Russes" et "même la Suisse, traditionnel coffre-fort de l’Europe, à quelques kilomètres seulement de la zone autrichienne occupée, semblait désormais trop vulnérable et trop proche du rideau de fer".
[...] La guerre froide prend un méchant tournant depuis la fin du blocus de Berlin et le déclenchement de la guerre de Corée. Au Maroc, tous les services de renseignement sont sur les dents, à Tanger en particulier, où on ne peut plus faire un pas sans tomber sur des agents des services spéciaux. C’est la foire à l’espionnite. Les Américains jouent contre nous, ici, vous le savez ? On les surveille de près, au moins autant que les Russes en Europe de l’Est.

Les personnages :

Bien sûr, c'est la loi des séries, on a tout le plaisir de retrouver cette enquêtrice attachante qu'on apprécie au fil des épisodes. : "d’allure sportive, cheveux châtains mi-longs, yeux verts pétillants , ni grande ni petite, ni femme fatale ni femme banale, un faux air de Joan Fontaine en plus athlétique et plus impertinente". Avec un petit truc en plus, tout de même, puisqu'elle "elle était dotée d’une faculté, l’hyperosmie, qui lui permettait de sentir les odeurs et les parfums les plus infimes".
Kaplan et sa famille sont des juifs de Salonique qui ont pu fuir la Grèce avant l'invasion allemande de 1941 et se réfugier au Maroc.
Mais pour cette mission un peu spéciale, elle devra se passer de l'aide de son assistante débrouillarde Vincente et de son aviateur amoureux Jeff, "pilote instructeur au terrain d’aviation de Camp Caze".
Fort heureusement elle pourra tout de même compter sur Brahim, "son adjoint, ancien officier de l’AFN, qui militait désormais pour l’indépendance de son pays", pour affronter à Tanger toutes sortes de trafiquants : "caïds de la pègre, grands bourgeois, aventurières en chasse, anciens collabos, hommes d’affaires véreux, contrebandiers … et sans doute des agents du renseignement ou du contre-espionnage".

Le canevas :

La détective Gabrielle Kaplan devra, cette fois, quitter sa zone de confort, comme on dit : les services français l'ont approchée et l'envoient en mission d'espionnage à Tanger pour surveiller les trafics d'un mafieux corse.
Les renseignements qui lui sont fournis sont plutôt maigres, sa 'couverture' est assez light et ses contacts peu disponibles : "quel micmac ! fut la première phrase qui lui vint à l’esprit".
Elle ne pourra contacter ses mandataires que par télégramme : "si tout va bien, vous finirez par « Bons baisers de Tanger »".
[...] – Décidément, on se croit presque dans Mission à Tanger !
Tu ne crois pas si bien dire.
– Presque ! s’esclaffa Kaplan. Nous, c’est plutôt Mission Danger à Tanger !

♥ On aime :

 Même si l'écriture de ses romans est résolument actuelle, Melvina Mestre a soigné l'ambiance de son roman policier old-fashioned et bien posé son personnage de détective qui pourrait être la fille spirituelle de Nestor Burma. La mission d'espionnage qui lui est confiée est l'occasion de pimenter la série.
Et puis reconnaissons qu'on aime bien le parfum désuet et rétro de ces histoires de 'privé(e)' écrites avec une plume suffisamment moderne et fluide pour notre lecture d'aujourd'hui. 
 Comme les deux précédents, c'est un roman policier fait pour dépayser, divertir mais aussi pour instruire. Melvina Mestre ne cherche pas à nous faire peur, ni à nous prendre la tête : l'intrigue policière reste simple et sert de prétexte pour plonger le lecteur dans une période méconnue de l'histoire avec une description minutieuse de Tanger, de ses trafics et surtout des enjeux complexes qui y régnaient.
Ce n'est pas un polar qui révolutionne le genre mais c'est une lecture aussi instructive que passionnante.
 L'épilogue nous explique que tout le récit a été construit à partir d'histoires vraies, de faits avérés, d'arnaques véridiques : je ne vous en dis pas plus pour ne pas divulgâcher mais ça me démange !
Alors, joli compromis, je vous cite un article du Monde de ... 1956 ! publié juste avant l'ouverture d'un procès qui allait se tenir à Marseille, un article qui pourrait presque servir de 4ème de couverture à ce bouquin, 70 ans après :
[...] Ils y ont mis de l'ardeur et de la conscience professionnelle. Leurs actions ont été menées dans ce style particulier des plus beaux films de gangsters. On y trouve çà et là quelques cadavres. On y aperçoit des silhouettes coiffées de cagoules et armées de mitraillettes. On imagine des propos précis dans une langue verte qui ne souffre pas la discussion. Mais ces hommes ne sont pas des aventuriers pour le goût de la liberté. Ce sont des employés d'une société parfaitement organisée, avec sa hiérarchie, ses lois et ses exigences.

Pour celles et ceux qui aiment les espionnes.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Points (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.

mercredi 2 avril 2025

Dream Town (David Baldacci)


[...] C’est dans sa nature.

Portrait désabusé de Hollywood et de L.A. Ce troisième chapitre des aventures du détective privé Aloysius Archer est aussi captivant que les autres. Une étude sans concession de l'humanité et de ses faiblesses. 

L'auteur, le livre (496 pages, février 2025, 2022 en VO) :

Après Une bonne action, après Le parieur, voici Dream Town la troisième aventure du détective privé Aloysius Archer (mais appelez-le Archer !) .
David Baldacci (né en 1960) a eu la bonne idée de redonner vie à ces détectives privés au charme rétro et au parfum désuet, évoquant l'atmosphère de Chandler ou Hammett, avec une plume suffisamment moderne et fluide pour notre lecture d'aujourd'hui même si le ton reste celui de l'époque, une époque où un homme ne pouvait pas sortir sans chapeau, un Fedora de préférence.

♥ On aime :

 Sans surprise, on se sent comme chez soi : David Baldacci possède un réel talent pour (re-)mettre en scène ce qui ressemble presque à une BD avec le privé, les voyous, les belles autos et les jolies pin-ups, Avec juste ce qu'il faut d'élégance "à l'ancienne" et suffisamment de modernisme pour nous proposer une lecture fluide aujourd'hui. 
Un bon dosage qu'il arrive à maintenir avec une belle régularité au fil des épisodes.
[...] Il se trouvait au volant d’un cabriolet Delahaye rouge sang de 1939. Archer aimait toujours autant cette voiture. N’importe quel homme un tant soit peu en vie l’aimerait aussi. Tout comme n’importe quelle femme qui appréciait les hommes avec une belle bagnole.
 On y découvre des personnages soigneusement dessinés, un anti-héros désabusé mais toujours valeureux, une ou deux blondes fatales, quelques gros durs aux gros bras, des trafiquants véreux, des joueurs invétérés et des flics ripoux, chacun à sa place dans une intrigue solide où les jolies dames ne se contentent pas de jouer les potiches décoratives comme il était pourtant de bon ton à l'époque. 
On apprécie d'ailleurs que l'auteur distribue des rôles sympas aux "pin-ups" et ne se contente pas de leur laisser la place qui était la leur dans les années 50 (époque où Archer est rentré du front). 
Et dans cet épisode on découvrira pas mal de personnages féminins, même s'il vaut mieux ne pas croiser la route de certaines de ces dames.
 Et puis il y a la fameuse Ville des Anges que l'on va parcourir depuis Malibu jusqu'à Bel Air, depuis les studios de Hollywood jusqu'aux casinos de Vegas.
[...] À un niveau superficiel, bien sûr, l’analyse est rapide. L’argent, le pouvoir, la célébrité. À cet égard, elle ressemble à n’importe quelle autre grande ville. Mais ici, un autre élément entre en jeu : Hollywood. C’est ce qui la rend totalement unique. Ajoutez à cela un monde criminel fermement résolu à exploiter l’industrie du cinéma jusqu’à la moelle et par tous les moyens imaginables.
[...] Pour un détective privé, L.A. offrait du boulot à foison. Ici, on ne semblait pas pouvoir s’empêcher de tuer, voler, tromper et faire chanter son voisin à une fréquence vertigineuse. Ce qui arrivait quand trop d’argent se retrouvait au même endroit : certains étaient toujours tentés d’en soulager leurs propriétaires légitimes ou illégitimes.
[...] Pour un détective privé, L.A. se révélait être une étude fascinante des êtres humains et de leurs innombrables faiblesses.
Car c'est bien cela qui intéresse David Baldacci (et son lecteur) : un portrait sans fard et sans concession de l'humanité et de ses faiblesses et travers. Los Angeles offre un terrain de jeu idéal pour cette exploration et une source d'inspiration inépuisable. Le portrait de la ville et de ses habitants est donc plutôt amer.

Les personnages :

Il y a donc là ce fameux privé, Aloysius Archer, le genre du "gars parmi d’autres qui se barre en courant avec un pétard allumé, et qui attend de voir où ça le mènera avant qu’il n’explose".
Ah, il y aussi la belle Liberty, l'amourette non déclarée de Archer : ça permet de maintenir en suspens la romance au fil des épisodes !
[...]  — Comment va Liberty ?
— Que dire, sinon qu’elle est encore plus belle qu’avant.
— Oh, Archer, tu en pinces méchamment pour elle, mon garçon. »
Et puis cette fois, il y aura pas mal de membres du tout Hollywood : des riches et des qui veulent le devenir, des célèbres et des qui veulent le devenir. Dream Town, la ville des rêves ... 
Mais aussi des mafieux, des trafiquants et des chinois, ...
Et même l'ombre du redoutable sénateur McCarthy, on est en 1952.

Le canevas :

Archer se retrouve donc à L.A. et se laisse embarquer, en bon 'privé' qu'il est, dans une enquête qu'il n'aurait pas dû accepter : une riche cliente l'engage parce qu'elle se sent menacée. 
Jusque là tout va bien, du moins jusqu'au soir où il ne la trouve plus dans sa maison mais y découvre le cadavre d'un ... autre privé. 
L'intrigue va s'avérer bien tordue et bien compliquée : la faute à quelques célébrités de L.A., à quelques combines pas très reluisantes et à quelques trafics sordides. 
Hollywood n'est qu'un décor et ce qui se cache derrière n'est pas joli joli. 
Il est même très risqué d'aller y fourrer son nez.
[...] — Tu t’inquiètes pour moi ?
— Tu as déjà été blessé, Archer, rétorqua -t-elle. Et tu as manqué te faire tuer deux ou trois fois rien que ces derniers jours. J’ai arrêté de compter. »

La curiosité du jour :

Au fait, connaissiez-vous la fable de la grenouille et du scorpion ?
[...] Un scorpion a besoin de traverser une rivière mais il ne sait pas nager. Il demande alors l’aide d’une grenouille. Au début, la grenouille est réticente. Elle craint que le scorpion ne la pique. Le scorpion assure alors à la grenouille qu’il ne la piquera pas, auquel cas ils périraient tous les deux. La grenouille laisse alors le scorpion lui monter sur le dos. À mi-chemin, comme attendu, le scorpion pique la grenouille qui n’en revient pas. Quand la grenouille dit au scorpion qu’ils vont mourir tous les deux, la créature venimeuse lui confie tout simplement qu’elle n’a pas pu s’en empêcher. C’est dans sa nature.

Pour celles et ceux qui aiment les détectives privés.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Talent et NetGalley (SP).