vendredi 18 avril 2025

Everglades (R. J. Ellory)


[...] Les ténèbres ont gagné pas mal de terrain.

Avec Everglades, Ellory dresse un véritable réquisitoire contre la peine capitale et signe, une fois de plus, une histoire qui va hanter longtemps ses lecteurs.

L'auteur, le livre (456 pages, avril 2025, 2024 en VO) :

On ne présente plus Roger Jon Ellory, l'écrivain britannique (né en 1965) qui, comme nul autre, possède le don de nous transporter au cœur des États-Unis.
Alors avec un titre pareil, Everglades, on se doute que cette fois encore, le plaisir de lecture sera au rendez-vous.
En VO c'était The Bell Tower ('le beffroi' dans le livre) car c'est au pied de cette ancienne tour d'une église espagnole qui domine la prison d'état de Southern State, qu'ont lieu les exécutions capitales.
La traduction de l'anglais est signée Etienne Gomez.

Le canevas :

Ellory a placé son intrigue en 1977 et ce n'est pas tout à fait anodin : en 1972, un arrêt de la Cour Suprême des États-Unis déclare la peine de mort non conforme à la Constitution du pays qui interdit d'infliger des châtiments cruels et exceptionnels. Ce moratoire redonne vie et espoir à tous les condamnés qui croupissaient dans les couloirs de la mort des prison US.
En 1976, un nouveau verdict de la Cour Suprême marque un revirement et restaure la peine de mort : quatre années d'espoir s'évanouissent, les couloirs de la mort redeviennent encore plus sinistres qu'avant et les condamnés encore plus difficiles à gérer.
Un an plus tard donc, en 1977, le shérif adjoint Nelson Garett est gravement blessé lors d'une fusillade.
Après l'opération vient la rééducation dans les bras d'une jolie kiné : Hannah.
Mais Nelson boite irrémédiablement et ne peut retrouver son poste de shérif.
Frank Montgomery, le père de sa kiné, travaille à la prison d'état de Southern State et lui propose un poste de gardien dans ce pénitencier fédéral où sont enfermés les pires voyous et meurtriers du comté.
[...] – C'est pas le genre de boulot qu’on quitte à 17 heures.
– Ce qui veut dire ?
– Je le vois bien avec mon père et avec Ray. C’est pas un boulot facile, Garrett. On est face à des brutes. C’est ça à longueur de journée et ça finit par déteindre sur tout.
[...] La violence était dans leur sang. Indiscutablement. Si la violence ne suffisait pas à régler un problème, c’était qu’on n’y avait pas assez recouru. 
Dans la fosse aux lions, Nelson va devoir affronter ces brutes dont ne veut plus la société, gérer en permanence la violence, la tension, et même assister à des exécutions capitales.
[...] Il avait contribué, par obéissance à la loi, à l’exécution d’un homme qu’il ne connaissait pas et qui ne lui avait rien fait. Il avait satisfait aux obligations et aux exigences du système judiciaire. Il avait accompli le devoir et la tâche qui incombaient à son poste. Mais, cela mis à part, il avait sanglé un homme qu’il avait ensuite regardé mourir d’une manière vraiment brutale , et il savait qu’il ne pourrait jamais oublier ce qu’il avait vu.
Dans les quartiers de haute sécurité, au pied du beffroi, quand sonne la cloche annonçant une exécution, les gardiens, les détenus et le lecteur vont vivre une épreuve difficile, oppressante, étouffante. 

♥ On aime :

 Ce roman est un véritable réquisitoire contre la peine capitale : Ellory plaide la cause abolitionniste avec talent dans ce livre où il nous plonge en compagnie du gardien Nelson Garett au cœur du pénitencier, entre le couloir de la mort et la chambre d'exécution. 
Âmes sensibles s'abstenir car c'est là un boulot qui vous change profondément un homme ...
[...] Tu fais pas un mauvais métier, Garrett. Tu fais un métier nécessaire, tu dois essayer de ne pas oublier ça.
[...] Tu essaies de rester sain et humain alors que tu baignes dans l’insanité et l’inhumanité. Ces types représentent une infime minorité. Dans leur majorité, les gens sont bons, gentils, honnêtes.
[...] C’est sûr que c’est le genre de boulot où on va à reculons. On y va par sens du devoir, de… quoi ? de la responsabilité ? par confiance dans la loi ? parce qu’on a foi dans le système judiciaire et qu’on croit qu’on peut faire une différence ?
 Comme à son habitude, Ellory nous laisse tout notre temps pour nous familiariser avec le décor, la situation et les personnages. Bientôt le lecteur fera partie, lui aussi, de la famille Montgomery.
Et sans surprise il va retrouver les thèmes chers à cet auteur : ici-bas les hommes portent un lourd fardeau, parents toxiques, culpabilité, enfance difficile, ... et cela dans un monde étouffant fait de violence où ténue sera la la frontière entre le bien et le mal, la frontière entre certaines lois et une certaine idée de la justice (rappelez-vous, c'était le titre de son dernier roman La frontière).
Certains parlent de karma, d'autres de destin, de châtiment, de balance universelle ou d'équilibre cosmique, chacun appelle cela comme il veut : Ellory garde l'esprit large mais la justice dans sa ligne de mire et fait craindre au lecteur "qu’il n’y ait encore un prix à payer pour tout ce qui s’était passé".
Comme toujours, seules quelques figures féminines lumineuses tenteront d'éclairer ces ténèbres.
 Chaque année, on se demande comment fait cet auteur pour nous sortir aussi régulièrement des histoires aussi fortes, aussi prenantes. Il lui est arrivé de s'égarer un peu c'est vrai, mais c'est plutôt rare et ce livre, s'il n'est peut-être pas son meilleur, fera assurément partie des histoires qui vont longtemps hanter le lecteur, au point que "certaines nuits, il rêvait qu’il était perdu dans les Everglades".

Pour celles et ceux qui aiment les prisons.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Sonatine (SP).
Ma chronique dans la revue ActuaLitté.

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