jeudi 24 avril 2025

Brazilian Playboy (Joe Thomas)


[...] Suivez le putain de pognon.

Un polar dur et violent à l'image de São Paulo, une ville gangrenée par le fric, où prospèrent les Ferrari, les jets privés et les milliards. Le lecteur trop curieux apprendra que mieux vaut ne pas venir fourrer son nez dans les affaires de corruption et de blanchiment d'argent.

L'auteur, le livre (288 pages, avril 2025, 2019 en VO) :

Rares sont les polars venus du Brésil comme ce Brazilian Playboy, second roman traduit en français du britannique Joe Thomas. Né en 1977, il a longtemps vécu dans ce pays et ce livre fait partie d'une série de quatre romans sur la corruption criminelle au Brésil, quelque part entre Suburra pour le côté enquête sur le banditisme et Bangkok Psycho pour le côté expatrié en pays exotique (le précédent bouquin de J. Thomas avait pour titre Brazilian Psycho).
Les Playboys, dans l'argot brésilien, ce sont des "jeunes nantis présomptueux et tape-à-l’œil, qui portaient des mocassins sans chaussettes"
Ah, mettez bien des chaussettes avant d'ouvrir ce bouquin : visiblement Joe Thomas a pris en horreur les mocassins pieds nus ! "Leurs pieds : sans chaussettes, des chaussures avec des glands, mais pas de chaussettes".

La traduction (anglais) est signée Jacques Collin.

Le contexte :

Nous sommes en 2016. Le cercle de Lula da Silva, Dilma Rousseff (je cite "une pouffiasse gaucho acariâtre qui est plus riche que Dieu"), et à présent Michel Temer, détient les rênes du pouvoir. Une clique de plus en plus fragilisée et contestée. 
Le gouvernement et la firme Petrobras sont au cœur de scandales à répétition sur fond de corruption et blanchiment d'argent.
La justice lance une opération mains propres baptisée Lava Jato.
Le message de Joe Thomas est clair dans son livre : la corruption du pouvoir de gauche va faire le lit du populisme et de Jair Bolsonaro : "ce Lava Jato, allait mettre à bas les principaux partis, structures et représentants démocrates… Et l’étape suivante était logiquement une néo-dictature populiste".

Le canevas :

Un soir de manif (il y en a tous les jours ou presque) on découvre le corps d'un jeune homme inconnu, sans papiers sur lui. 
Mauvaise rencontre avec une crapule ? Agression dans ce parc connu pour sa fréquentation gay ? Règlement de comptes ? Exécution mafieuse ?
Entre bons flics et mauvais flics, délinquance en col blanc et vrais voyous, la visite de São Paulo s'annonce éprouvante et l'enquête difficile. 
« [...] Tu as déjà entendu l'expression "Suivez le putain de pognon" ? »

Les personnages :

Nous allons faire connaissance avec quelques Paulistanos.
Comme Antonio, le playboy disparu et Roberta sa petite amie qui le cherche partout, ainsi que Raphael, un autre playboy, ami et collègue d'Antonio.
« [...] – Comment s’appelle ce gars ? demanda Lisboa.
– Antonio. Antonio Neves.
– Où travaille-t-il ?
– Il bosse dans la finance, pour un joli petit fonds spéculatif des plus distingués, appelé Capital SP. »
Mario Leme c'est l'inspecteur de la police civile, c'est le bon flic avec son collègue Lisboa.
Leme va se retrouver mêlé à une histoire qui le dépasse comme dans les histoires de "privé".
Eleanor Boe, c'est Ellie, la journaliste anglaise qui vient porter son regard (trop inquisiteur) d'étrangère sur la vie paulistana.
Du côté des méchants, ce sont aussi des flics ! Pas facile de faire la distinction à la nuit tombée !
Il y a là Carlos, le caïd des militars, la police militaire, le méchant flic, très méchant, et Junior sa nouvelle recrue. Pour qui roulent les mauvais flics ?
On évoquera aussi le PCC, l'étonnante mafia des prisons brésiliennes. 
Bref, y'a pas que du beau monde, loin s'en faut.

♥ On aime un peu :

 En refermant ce polar, on se dira que le Brésil n'est peut-être pas l'endroit idéal pour des vacances cool.
Le Nordeste brésilien d'Edyr Augusto nous avait déjà bien secoués, mais le São Paulo de Joe Thomas ne se montre pas plus accueillant.
La vie de São Paulo est dure, vraiment dure, où les riches nantis profitent un maximum et se font servir par le petit personnel, au bar ou à la maison.
Ici règnent "l’embourgeoisement et l’épuration sociale ; une élite politique sourde à la misère des déclassés".
Ces riches nantis dont les fils ont accès aux meilleures écoles privées : ce sont les playboys du titre.
Le fric, certes, mais aussi la violence qui va avec.
"São  Paulo existe dans un état de paranoïa exacerbée qui entraîne un taux de possession d’armes démesuré, une défiance de la police et un recours massif à la sécurité privée."
Ces riches nantis qui ferment les yeux sur la façon dont la police militaire gère la rue, la violence, les malfrats et les voyous, "les camés, les pervers, les dégénérés, les flingueurs, les surineurs et la racaille encagoulée", dans les mauvais quartiers et les favelas.
 On sera grandement surpris par São Paulo, cette ville de tous les excès et de tous les superlatifs où la concession Ferrari est la plus importante de la planète, même devant celle de Los Angeles et Hollywood, car "São Paulo est la ville où il se vend le plus de Ferrari au monde"
Voici la capitale mondiale du fric et donc des milliardaires, la capitale des yachts, des hélicoptères et des jets privés.
Une ville où l'expression "suivez l'argent" prend un sens tout à fait concret.
 Le lecteur apprendra donc beaucoup de choses sur le Brésil et sa capitale économique São Paulo. Mais la leçon sera un peu raide : la prose de Joe Thomas est brute, sèche, à l'image même du pays. L'enquête policière, va s'avérer complexe et labyrinthique, à l'image même de la situation économique.
Le lecteur sera souvent perdu, avec peu d'indices pour y trouver son chemin. L'écrivain jongle avec les styles, les voix et les perspectives, comme pour peindre une fresque de la ville, mais cela donne une lecture un peu heurtée et pas vraiment fluide. 
C'est un peu dommage car nous avions, avec cet auteur, de quoi découvrir une face cachée de ce pays mal connu, bien loin de la carte postale de Copacabana. 

Pour celles et ceux qui aiment le Brésil.
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Livre lu grâce aux éditions du Seuil (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.

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