[...] Contes et légendes des îles.
Ce vrai-faux polar aux allures de parodie de James Bond cache un portrait sans concession d'un Tahiti soi-disant paradisiaque et une critique féroce des essais nucléaires français.
❤️❤️❤️🤍🤍L'auteur, le livre (344 pages, réédition juin 2025) :
Attention, une histoire peut en cacher une autre !
Il y a bien sûr le récit de cet auteur : un polar mâtiné d'espionnage sur les plages de Tahiti, rien que ça déjà ...
Mais Jean Meckert, l'écrivain, a lui-même une histoire intéressante.
Et l'ouvrage, le livre lui-même, aura sa propre histoire également !
Jean Meckert débute à quatorze ans comme simple ouvrier à Paris, il vient d'une famille modeste.
Puis ce sera la guerre, l'internement et c'est pour s'occuper que Jean se met à écrire, avec ses mots à lui.
Et c'est donc en pleine guerre, en 1941, qu'il envoie son premier manuscrit chez Gallimard.
Mais une bonne étoile veille sur tout cela et c'est Raymond Queneau qui remarque son texte et le publie (Les coups).
À la libération en 1945, Gallimard lance la fameuse Série Noire sur le modèle anglo-américain.
Jean Meckert et sa prose y seront régulièrement publiés sous le pseudonyme de Jean Amila.
Quand viendra l'heure de La vierge et le taureau, en 1971, Jean Meckert/Amila compte déjà plus d'une douzaine de polars à son actif.
Le voici qui part à Tahiti pour écrire un scénario à la demande du cinéaste André Cayatte : une parodie de James Bond pour Belmondo et Ursula Andress !
Sur place, Meckert ne découvre pas le "paradis" des peintures de Gauguin mais un territoire et un peuple assujettis au programme nucléaire français.
De sa colère indignée va naître ce roman témoin.
Mais ce n'est pas tout, il y a encore d'autres histoires dans l'histoire !
Quelques temps après son retour en métropole et la publication de son roman, Jean Meckert est agressé : sérieuses blessures, coma, amnésie, longues séquelles.
La légende urbaine nous dit que ce traumatisme serait le fait de services secrets qui voulaient lui faire payer ses propos sur les essais nucléaires français en Polynésie.
Le film de Cayatte ne verra pas le jour.
Il ne nous reste que cette lecture grâce à une ré-édition bienvenue.
Et ça vaut le détour par la Polynésie !
Le pitch et les personnages :
Honoré est un de ces losers, un de ces beachcombers, qui hantent les plages soi-disant paradisiaques du Pacifique. Il vivote de sa petite peinture, ses « gauguineries commerciales ».
C'est un « parasite, peintre raté, velléitaire, sans doute gentil garçon et plein d’idées généreuses, mais totalement bon à rien ».
Un événement glamour va venir distraire les îliens : on est en train de tourner un film d'espionnage, « un grand film avec la belle Gloria Garden ».
Voilà de quoi tourner quelques têtes : « la vedette descendant du Super D.C. 8, reins creusés comme la houle, poitrine en avance d’un fuseau horaire, sourire plaqué ».
Honoré (signe zodiacal taureau) va bien entendu tomber sous le charme de la starlette (signe de la vierge) mais lui et son ami César vont se retrouver plongés dans une véritable affaire d'espionnage en marge du tournage du film : nous sommes en plein programme français d'essais nucléaires et Honoré, pour se rapprocher de la star de cinéma, n'a pas trouvé de meilleure idée que de se faire passer pour ... un agent secret.
La confusion est totale, les embrouilles sont assurées.
« Ils virent la voiture s’éloigner.— Mais qui est donc ce type ? demanda César.— Je n’en sais pas davantage que toi… Un quelconque professionnel de la C.I.A.César parut surpris.— Tu veux dire de la D.S.T. ?— Tu es dingue ?— Ou de la S.D.E.C.E. ? Mais enfin, c’est un Service français. »
♥ On aime :
➔ Sous ses airs de gouaille façon Série Noire, la prose de Jean Meckert/Amila est particulièrement soignée.
Il y a bien quelques pages où colère et indignation s'expriment avec virulence contre les essais de bombinette nucléaire (on soupçonne même des essais bactériologiques) et quand « le vieil intellectuel déclamait de hautes vérités solennelles », mais l'auteur arrive à contenir sa juste révolte et garder la maîtrise de son intrigue.
Nous sommes encore en 1971 et bientôt (en 1975) les essais nucléaires deviendront souterrains, c'est plus discret.
Ils ne s'arrêteront vraiment qu'en 1996.
➔ L'air de rien avec sa fausse parodie de James Bond, ses « contes et légendes des îles », Jean Meckert laisse tomber les pinceaux de Gauguin pour mieux nous brosser un tableau vraiment très complet de la situation de ces îles soumises à des enjeux qui les dépassent totalement.
Et le constat est sans appel : « l’âme de ce peuple est condamnée sans recours, comme aux Hawaï, parce qu’elle ne répond pas aux exigences des ordinateurs de l’hôtellerie, des compagnies d’aviation et surtout des militaires ».
Il ne manque qu'un personnage dans le tableau peint par Meckert au tout début des années 70 : celui de l'influence économique chinoise, car elle n'arrivera que plus tard, à partir des années 80.
Un portrait sans concession qui évoque celui que Marin Ledun traçait tout récemment des îles Marquises avec Henua.
Le paradis n'est plus ce qu'il était ... s'il l'a jamais été.
Pour celles et ceux qui aiment les îles.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Gallimard/Joëlle Losfeld (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.
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