samedi 2 mars 2024

Les dames de guerre : Saïgon (Laurent Guillaume)


[...] On est à Saïgon, jeune fille. La ville des espions.

L'auteur, le livre (496 pages, février 2024) :

On avait déjà croisé Laurent Guillaume avec deux polars, l'un très parisien (c'était Mako), l'autre très province (c'était Là où vivent les loups). Deux bouquins que l'on avait déjà bien appréciés.
Avec Les dames de guerre : Saïgon, nous partons cette fois à l'étranger, dans l'Indochine des années 50 avec un hommage au célèbre bouquin de Graham Green (Un américain bien tranquille) ou peut-être une sorte de clin d'œil français et romancé à un autre bouquin, celui de William Boyd qui nous contait Les vies multiples d'Amory Clay, une autre photographe.
Ce sera notre second coup de cœur de l'année pour une histoire romancée captivante au cœur d'une grande Histoire passionnante.
Laurent Guillaume nous livre un sympathique roman d'aventures et un joli portrait de dame. Espérons que cet épisode marque le début d'une belle série.
[...] C’est ce que j’ai essayé de faire dans Les Dames de guerre : Saïgon – raconter certes l’histoire de l’opération X, qui a réellement existé et qui était destinée à financer la contre-insurrection en Indochine, mais surtout une histoire romanesque de femmes et d’hommes pris dans les remous de la guerre froide et de la décolonisation.

On aime vraiment beaucoup :

❤️ Tout au fond de la salle de rédaction du magazine Life, le lecteur ne peut que lever la main quand il s'agit d'accompagner Elisabeth Cole, une américaine bien tranquille, journaliste mondaine new-yorkaise pour Life, à qui l'on demande d'aller jouer au Tintin reporter dans l'Indochine des années 50.
Un lecteur qui ne regrettera pas son coup de tête quand la jolie journaliste montera dans l'avion des commandos français pour les montagnes à la frontière du Laos où se cultive l'opium qui finance la guerre coloniale de la France : la jeune femme frivole va sortir de sa chrysalide, troquer robe et escarpins pour rangers et treillis et va se montrer une redoutable enquêtrice pleine de charme.
[...] On est à Saïgon, jeune fille. La ville des espions, en seconde position juste derrière Berlin.
[...] Elle s’était regardée dans un miroir du hall. Elle avait failli ne pas reconnaître son reflet, celui d’une jeune femme au visage dur et fatigué, sans maquillage, les cheveux noués en queue-de-cheval, vêtue d’un battledress, d’un blouson trop grand et d’une paire de brodequins crottée. Le contraste avec les femmes à l’élégance apprêtée qui entraient dans le restaurant du Métropole aux bras de messieurs en costume ou en smoking était saisissant.
[...] Dao la regarda avec une admiration qu’il ne tentait plus de dissimuler. 
— Si vraiment vous n’êtes pas un agent de la CIA, ils feraient bien de vous recruter.
❤️ On s'attache bien vite aux personnages choisis avec soin par l'auteur : des espions chinois redoutables, des commandos français borderline, des corses mafieux pas trop clean, des agents de la CIA au double jeu, ... 
Chacun d'eux tente de s'accommoder de son mieux des contradictions d'un pays en guerre (une sale guerre) et d'enjeux géopolitiques qui les dépassent (nous ne sommes qu'à quelques semaines de Điện Biên Phủ et les américains piaffent d'impatience en attendant que les français leur laissent le terrain).
[...] — On est loin des grands discours. À la guerre, tout le monde ment. Tout le monde se parjure.
[...] — Je ne dis pas qu’il y a un camp du bien et un camp du mal, non, certainement pas. Je dis que le plus souvent il y a un camp du mal et un camp du moindre mal.
— Et vous pensez que nous autres Occidentaux sommes le moindre mal ?
[...] — Quelle horreur, murmura Elizabeth. 
— Oui, c’est une sale guerre, mais je n’en connais pas de propre, dit le Français. 
[...] Vous pensez donc vraiment que vous allez perdre cette guerre ? Bremond haussa les épaules.
— Je vous l’ai dit l’autre soir au mess : elle est déjà perdue.
❤️ On apprécie que l'auteur ait pris soin de dessiner des personnages qui rappellent leurs modèles de la vraie vie : Graham Fowler est un "américain bien tranquille" (le Thomas Fowler de Graham Green), Robert Kovacs est un clone de Capa (qui travaillait effectivement pour Life et qui a effectivement sauté sur une mine dans cette région en 1954), etc. La postface de l'auteur est à ce titre très intéressante.
❤️ On s'intéresse beaucoup à cet épisode de la guerre française d'Indochine (l'opération X) où le trafic d'opium alimente la fameuse French connection et préfigure ce que seront désormais les dessous des conflits coloniaux (pavot afghan, narcos sud-américains, ...).
[...] Un guerrier Méo, un tasseng, s’avança cérémonieusement vers Bremond, portant un panier tressé qu’il déposa devant l’officier en guise d’offrande. Bremond l’ouvrit, regarda ce qui s’y trouvait et marqua une pause très brève. Il referma le panier et remercia le tasseng. Lorsque le notable fut parti, Elizabeth, que la curiosité dévorait, lui demanda : 
— Qu’y a-t-il dans ce panier ? 
— Les oreilles de Viets.

Le pitch :

1953 Indochine. Le photographe reporter de guerre de Life, Robert Kovacs, saute sur une mine. Il accompagnait une expédition secrète des commandos français dans les territoires du nord, quelque part entre Chine, Vietnam et Laos : les montagnes des tribus Hmong que les français (et plus tard les américains) armaient contre les Viet.
À New York, les candidats remplaçants ne se bousculent pas pour connaître le même sort et, contre toute attente, c'est une jeune femme Elisabeth Cole qui part en Asie pour le magazine.
[...] - Vous partez en Indochine comme reporter de guerre pour Life. C’est bien ce que vous vouliez ?
[...] Un hurlement de rire lui répondit. Les reporters qui, quelques instants auparavant, baissaient les yeux, honteux, riaient de cette donzelle manucurée et pomponnée sur un théâtre de guerre. Pour qui se prenait-elle, cette mannequin tout droit sortie de la Cinquième Avenue pour leur assener son caprice puéril, et devant le patron en plus ?
Laurent Guillaume boucle ces préliminaires rapidement et il ne faut que quelques dizaines de pages à Elizabeth pour boucler ses valises, quitter les mondanités frivoles de New York et s'envoler pour Saïgon. 
Mais que cherchait réellement Kovacs chez les commandos français ? Et pourquoi ces derniers ont-ils fait croire qu'il était mort loin des montagnes et de la frontière ?
VietMinhs, Méos, Qingbao chinois, CIA et SIS, SDECE, secte Caodaï, ... les services secrets et les mercenaires s'agitent en Indochine comme les crabes dans leur panier !
Des crabes inquiets de l'arrivée de cette "américaine bien tranquille" qui s'intéresse de beaucoup trop près à la mort de son collègue.
[...] — Eh bien voilà un récit incroyable qui mériterait d’être raconté dans un roman de gare, dit-il avec un large sourire.

Pour celles et ceux qui aiment les espionnes et les photographes.
D’autres avis sur Babelio.
Mon billet dans le journal 20 Minutes.

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