lundi 19 août 2024

Le silence (Dennis Lehane)


[...] Cette ville est sur le point d’exploser.

L'auteur, le livre (480 pages, avril 2024, 2023 en VO) :

Dennis Lehane sort un peu du cadre des thrillers habituels pour un roman très social sur son Boston natal : Le silence, basé sur un fond historique bien réel, le busing mis en place dans les années 70 pour favoriser la déségrégation dans les écoles étasuniennes (l'auteur a vécu ces événements pendant son enfance).

Le contexte :

En 1974, la municipalité de Boston a entrepris (l'enfer est pavé de bonnes intentions) de transférer chaque jour en bus, des enfants des quartiers blancs vers un lycée à majorité noire et réciproquement. Ce que les américains appelèrent le busing.
Le lycée de South Boston (un quartier irlandais "populaire") devait donc échanger des étudiants avec le lycée de Roxbury.
[...] Mais Southie n’est pas un endroit plus agréable, c’est juste un endroit plus blanc. Southie High est un lycée aussi pourri que Roxbury High.
[...] Elle ne peut pas en vouloir aux gens de couleur d’avoir envie de s’échapper de leur trou merdique, mais ça n’a pas de sens de vouloir l’échanger contre son trou merdique à elle.
L'arrêté municipal est pris en juin, ce doit être effectif pour la rentrée de septembre, après un été particulièrement chaud alors que les clims peinent à lutter contre la canicule.

♥♥♥ On aime vraiment très beaucoup :

 Il ne faut que quelques pages à Dennis Lehane pour nous accrocher au personnage de Mary Pat "digne de figurer au panthéon des irlandaises dures à cuire", la mère qui est au cœur de cette intrigue de roman noir où tous les ingrédients sont soigneusement réunis avant l'explosion inévitable de la cité : chaleur torride, racisme exacerbé, exaspération latente, incidents déclencheurs, ...
Une construction qui rappelle un peu le début du récent roman de S.A. Cosby : Le sang des innocents.
 Il ne faut que quelques pages pour nous immerger dans le "film" : l'appartement de Mary Pat, les immeubles de sa cité, ses voisines toutes irlandaises, les pubs du coin, les petits caïds du quartier, ... très vite nous voici tout aussi irlandais que les Fitzpatrick, les Kilkenny ou les O'Halloran.
 Et comme tout bon irlandais de ce quartier de Southie, nous voici à partager le racisme décomplexé de ces petits blancs et leur peur de ce qu'on appelle désormais le déclassement. Dennis Lehane nous emmène visiter le cœur même de la machinerie complexe qui fabrique haine et racisme au quotidien, génération après génération.
[...] C’est des choses qui arrivent.
C’est comme ça et pas autrement.
Qu’est-ce qu’on peut y faire ?
 Et puis c'est quand même Dennis Lehane, alors on a donc droit à un final digne d'un néo-western urbain !

Le canevas :

Mary Pat Fennessy est une irlandaise de 42 ans qui élève seule sa fille de 17 ans, Jules, et qui peine à joindre les deux bouts malgré ses deux boulots. Elle habite un quartier défavorisé entièrement peuplé d'irlandais modestes. "[...] S’ils sont pauvres, ce n’est pas parce qu’ils ne font pas d’efforts, ni parce qu’ils ne travaillent pas dur, ni parce qu’ils ne méritent pas mieux", mais parce qu'ils n'ont pas eu de bonnes cartes en main lors de la distribution.
Lorsque sa fille disparaît un soir, ce même soir où un jeune black s'est retrouvé sous le métro, elle demande de l'aide à Marty Butler, le petit caïd qui tient le quartier sous sa coupe et qui voudrait bien continuer ses petits business en toute tranquillité.
[...] — Tout le monde a les yeux fixés sur nous. Si cette abominable histoire de busing se concrétise ? Les caméras vont affluer dans le quartier comme s’il s’agissait d’une arrivée sur la lune. Et maintenant, avec ce jeune Noir qui se fait tuer et ta fille qui est peut-être impliquée dans l’affaire, ils vont envoyer encore plus de caméras dans le coin. Et le seul endroit sur lequel il ne faut pas que ces gens braquent leurs caméras ? C’est moi. Et mes proches.
Mais il ne fallait pas toucher à la fille de Mary Pat qui va réclamer "le prix du sang" et mettre un sacré bazar dans South Boston.
[...] — Mais putain, tu l’as tué juste comme ça. 
— Pourquoi ça te choque ? Vous tuez des gens tout le temps. 
— Nous, réplique-t-il. Pas toi.

Pour celles et ceux qui aiment comprendre.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Ma chronique dans le magazine Actualitté.

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