lundi 26 août 2024

Les guerriers de l'hiver (Olivier Norek)


[...] Tu as sûrement entendu parler des Enfers ?

L'auteur, le livre (480 pages, août 2024) :

L'histoire (vraie) de Simo Häyhä, le légendaire sniper que l'on surnomma La Mort Blanche, est de ces histoires qui viennent hanter les muses de la littérature jusqu'à trouver un écrivain qui leur permette de (re)naître enfin dans un roman. Olivier Norek fut celui-là avec Les guerriers de l'hiver.
[...] Certaines histoires vous rencontrent et ne vous laissent pas le choix. J’ai croisé celle de Simo Häyhä il y a une dizaine d’années, et j’ai toujours su que je partirais, un jour, sur ses pas.
Après un patient travail de documentation et d'investigation (le récit est assorti de cartes et de photos), le recueil de témoignages, une immersion en pleine forêt lapone, on a le plaisir de retrouver ici la plume très professionnelle d'Olivier Norek pour un roman de guerre bien éloigné des polars auxquels il nous avait habitués : une découverte enrichissante. 
Bien évidemment, cet épisode méconnu de l'Histoire récente européenne résonne aujourd'hui étrangement avec ce que l'on sait de la guerre d'Ukraine, même si l'auteur se garde bien de tracer lui-même le parallèle.

Le contexte :

Staline craint que les nazis attaquent l'empire soviétique par l'isthme de Carélie.
Au début de l'hiver 1939, les négociations traînent depuis plus d'un an entre les Soviétiques et les Finlandais qui veulent bien céder une partie de leur territoire mais surtout pas leur port sur la Baltique. 
Inquiète de la tournure des pourparlers, la Finlande décrète la mobilisation sous couvert d'un exercice général.
[...] Un tiers des chevaux de toute la Finlande fut donc réquisitionné. [...] Et les femmes qui restaient à l’arrière fronçaient déjà les sourcils. Le village avait perdu ses forces vives, et désormais sans bêtes, elles savaient qui, le temps que dureraient ces manœuvres spéciales, allait tirer la charrue, à la seule force de leurs jambes et de leurs épaules.
Fin novembre, comme rien ne semble bouger, les soviétiques mettent eux-mêmes en scène une provocation à la frontière et la Guerre d'Hiver est déclarée. 
Le 7 décembre débute, au nord de Leningrad, la bataille de Kollaa qui durera jusqu'en mars alors que les russes prévoyaient d'envahir le pays en dix jours tout au plus : "l'une des plus grandes puissances militaires du monde attaqua une des plus petites nations de la planète". Une nation qui ne disposait que d'une "armée de bouts de ficelle, mal équipée, peu nombreuse et à l’entraînement inégal".
Mais "un mois plus tard, à l’approche de Noël, les premiers doutes commençaient à s’installer dans les lignes" russes.
En 1939, la Finlande est un tout jeune pays de 22 ans qui ne s'est émancipé difficilement qu'en 1917 après des années de tutelle suédoise puis russe. Un âge bien trop jeune pour voir déferler la puissante et redoutable Armée Rouge.
[...] Longtemps, la Finlande appartint à d’autres. Pendant des siècles, elle fut une partie du royaume de Suède. Et pour un siècle encore, elle passa sous la souveraineté de la Russie. Elle dut attendre 1917 pour gagner son indépendance. En 1939, ce pays avait donc vingt-deux ans. Mais vingt-deux ans ne font pas un homme, encore moins une nation.
C'est son père qui avait fait du "petit" (1m52 !) Simo Häyhä un sacré chasseur avant qu'il devienne tireur d'élite de l'armée finlandaise. Il n'utilisait pas de lunette de visée pour éviter toute réflexion du soleil. Il mâchait de la neige pour éviter la vapeur de sa respiration. Il était capable de rester des heures par -40° enfoui sous la neige dans sa combinaison blanche.
La Mort Blanche terrorisait les soldats russes chez qui Simo fera plus de 500 victimes, un triste record qui va faire de lui le plus grand sniper de toute l'Histoire.
[...] Il n’était plus qu’une machine aux gestes mécanisés, optimisant chacun de ses mouvements pour gagner en vitesse et en précision, oubliant, pour ne pas devenir fou, qu’ils étaient hommes, oubliant le nombre de pères et de frères qu’il envoyait six pieds sous neige, tout Russes et agresseurs qu’ils étaient.
Dans sa déroute, l'Armée Rouge découvre alors la guerre de harcèlement et la guérilla : les forêts marécageuses de Carélie s'y prêtent tout autant que les rues d'une grande ville. Un enseignement que les russes mettront à profit quelques temps plus tard lorsque les nazis arriveront à Stalingrad.
Pour la petite histoire, notre seul "souvenir" de cette guerre méconnue était le surnom que les finlandais donnèrent au fameux cocktail Molotov (la bombe incendiaire créée pendant la Guerre d'Espagne), un hommage ironique à Viatcheslav Molotov, ministre des Affaires étrangères soviétique de l'époque, qu'ils utilisèrent contre les chars de l'Armée Rouge - les rares lance-missiles anti-char des finlandais furent ... ceux piqués aux russes, qui en avaient apportés avec eux, ignorant que l'armée finlandaise n'avait pas de tanks !

♥♥♥ On aime vraiment beaucoup :

 On dévore littéralement ce roman de guerre, plein de bruit et de fureur. Plein de l'absurdité de cette autre "drôle de guerre" que fut ce conflit russo-finlandais - que Charles Maurras qualifia de "Thermopyles du Nord". 
Mais une histoire également pleine de l'élan patriotique de ces petites nations dont les habitants sont appelés à défendre chèrement leurs terres, leurs villages, leurs familles et leurs amis.
 On est captivé par les nombreuses anecdotes, toutes véridiques, soigneusement documentées, rassemblées par Norek. C'est savoureux, malgré les horreurs guerrières décrites, et cela lui permet de croquer des personnages particulièrement attachants en évitant le piège du livre d'Histoire ou du journal de guerre. 
 On est bien sûr curieux de découvrir ce conflit méconnu dans un pays à l'histoire méconnue et on l'a dit, cet épisode du passé a quelques échos qui résonnent aujourd'hui encore ...
 Malgré le sérieux apporté au récit des faits, Olivier Norek a su trouver le souffle épique qui convenait pour retranscrire cette histoire et nous faire partager le courage et le patriotisme des soldats blancs. Peut-être, au cours de l'un de ses séjours sur place, a-t-il été inspiré par le fameux "Sisu" finlandais ?
Un mot, un concept, étrange dont on dit qu'il faudrait un livre pour l'expliquer ou le traduire.
Et bien le voilà peut-être, ce livre.
[dialogue entre deux généraux russes]
– Nous avons réveillé leur satané Sisu.
– Je ne parle pas leur langue, camarade, s’excusa Molotov.
– Et je ne peux te traduire ce mot. Il n’a d’équivalent nulle part ailleurs. Le Sisu est l’âme de la Finlande. L’état d’esprit d’un peuple qui vit dans une nature sauvage, par un froid mordant, avec un ensoleillement rare. Une vie austère, dans un environnement hostile, a forgé leur mental d’un acier qui nous résiste aujourd’hui. Je te dirais que cela parle aussi de leur courage, mais il manquerait encore beaucoup de mots pour définir ce qu’est le Sisu.

Le canevas :

Fin 1939, la Finlande mobilise sa population pour faire face à l'invasion imminente de l'Armée Rouge.
Dans le petit village de Rautjärvi, Simo (le meilleur tireur du pays) et ses amis, Toivo, Onni, Pietari, préparent leur paquetage et leurs skis avant de rejoindre la ligne de défense le long de la Kollaa.
Ils savent que tous ne reviendront pas.
« Tu as sûrement entendu parler des Enfers ? Là, c’est pareil. Mais le diable lui-même ne comprendrait pas ce qu'il se passe ici. »
Le long de la frontière commence une guerre d'attrition, une bataille de tranchées qui dura plusieurs mois avant de se conclure sans vainqueur ni vaincu.
Le récit fourmille de personnages, de faits d'armes et d'anecdotes tous plus incroyables les uns que les autres.
[...] Ceci est un roman. Cependant, les dialogues proviennent souvent d’archives ou ont été transmis par des passionnés, des militaires et des historiens. Aucun fait d’armes n’a été inventé, ni aucune anecdote. Aucun acte de bravoure n’a été exagéré. Si ces événements ont bientôt un siècle, ils nous renvoient à l’Histoire actuelle et nous mettent en garde. La guerre survient souvent par surprise, et il faut toujours un premier mort sur notre sol pour y croire vraiment.

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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Livre lu grâce aux éditions Michel Lafon (SP).
Ma chronique dans le magazine Actualitté.

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