lundi 9 septembre 2024

Les deux visages du monde (David Joy)


[...] Le racisme revêt tout un tas de visages.

David Joy nous emporte de manière convaincante dans une démonstration rigoureuse sans manichéisme outrancier ni effets ostentatoires, directement en prise avec le quotidien d'aujourd'hui : le racisme ordinaire des bons citoyens, celui qui souvent s'ignore.

L'auteur, le livre (432 pages, août 2024, 2023 en VO) :

Rentrée 2024.
La région des Appalaches et les états que traverse la chaîne, comme la Géorgie ou les deux Caroline (Nord et Sud), nous ont généralement valu pas mal de bons bouquins, souvent des "romans noirs". 
Pas plus tard que cette année, le britannique R. J. Ellory nous y invitait avec l'excellent Au nord de la frontière
Depuis sa retraite au fin fond de sa région natale, l'américain David Joy, disciple de Ron Rash, poursuit son rigoureux travail de dénonciation des failles de la société étasunienne contemporaine : le voici qui s'attaque au racisme hérité du péché originel et fondateur du pays, l'esclavage, et nous propose de découvrir Les deux visages du monde
➔ S'agit-il de répliques sismiques du mouvement Black lives matter dans les consciences étasuniennes ? mais voici encore un bouquin qui peut s'inscrire dans la lignée du Sang des innocents de Shawn Cosby (janvier 2024) et du Silence de Dennis Lahane (avril 2024), pour ne citer que ces deux-là.
Bien sûr, on ne s'en plaindra pas, au vu de la qualité de ces romans, de la justesse de la cause défendue et du plaisir de ces lectures.

♥ On aime beaucoup :

 On aime ces romans noirs où tout est réuni dès les premières pages en vue de l'inéluctable drame. Ces histoires fortes aux personnages bien dessinés. Ces textes qui éclairent les fractures de nos sociétés et portent haut la parole d'une juste cause.
 C'est Shawn Cosby (dans Le sang des innocents) qui, en début d'année déjà, nous avait avertis : l'esclavage est le péché originel de ce pays "une tache incrustée à jamais dans les fondations".
David Joy, fin connaisseur des failles qui traversent son pays, nous en propose ici une nouvelle et brillante illustration. 
[...] – Ce que je sais, c’est que le racisme revêt tout un tas de visages.
– C’est censé vouloir dire quoi ?
– Ça veut dire que ce pays a été fondé sur et perpétué par le suprémacisme blanc.
 Avec quelques personnages bien fouillés, David Joy nous emporte de manière convaincante dans une démonstration rigoureuse sans manichéisme outrancier ni effets ostentatoires, directement en prise avec le quotidien d'aujourd'hui : le racisme ordinaire des bons citoyens, celui qui souvent s'ignore.
[...] Je pense qu’on a la très mauvaise habitude de croire que si on parle pas de quelque chose, cette chose-là disparaîtra.
[...] Personne ne voulait évoquer un tel sujet. Il y avait un certain confort à se taire.
 Comme il se doit, ce roman en noirs & blancs se terminera en demi-teinte de gris car rien n'est jamais aussi évident qu'on veut bien le croire.
[...] Rien n’était ni tout noir ni tout blanc, c’était gris, et le gris était bien plus terrifiant car trop souvent il n’offre pas de points de repère.

Le canevas :

Toya (étudiante en arts graphiques) vient visiter sa grand-mère dans une petite ville au pied des Appalaches : c'est l'occasion pour elle de redécouvrir son passé, son héritage et sa famille (noire). Pour dénoncer l'histoire esclavagiste de la région (l'une des terres du Ku Klux Klan) elle va arroser de peinture rouge les mains d'une statue de l'Oncle Sam qui brandit ... un drapeau confédéré, symbole du passé esclavagiste et de la haine raciale.
Nous sommes pourtant en 2019 mais ses actions vont rouvrir des plaies que l'on voulait croire refermées et attiser les tensions entre des populations que l'on voulait croire apaisées : comme dans tout bon roman noir, toutes les composantes du drame sont mises en place dès les premières pages.
Au cœur de la tragédie annoncée se trouvent réunies Toya et sa vieille grand-mère, un inquiétant voyageur suprémaciste, le shérif Coggins et son adjoint Ernie, et même quelques édiles locaux, corrompus jusqu'à l'os, que l'on soupçonne membres en secret du KKK, ...
[...] Il y avait de l’électricité dans l’air, on aurait dit qu’un fil avait été tellement tendu qu’il allait casser net . Elle le sentait. Elle sentait l’odeur des corps qui l’entouraient, l’odeur de la fumée de la mèche allumée.
➔ À noter pour information [clic] : après la tuerie de juin 2015 à Charleston (en Caroline du Sud, un suprémaciste blanc brandit le drapeau confédéré et assassine neuf noirs dans une église), un mouvement de protestation est né pour "faire tomber ce drapeau" (#bringitdown) qui se dresse encore dans plusieurs places ou monuments très officiels.

Pour celles et ceux qui aiment comprendre.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Sonatine.
Ma chronique dans les magazines Actualitté et 20 Minutes.

Aucun commentaire: