vendredi 20 décembre 2024

Kalmann et la montagne endormie (Joachim B. Schmidt)


[...] Personne ne veut être le plus bête.

Dans ce second épisode, on retrouve avec plaisir Kalmann, l'idiot d'un petit village islandais, mais un idiot du village qui a oublié d'être bête.

L'auteur, le livre (320 pages, janvier 2025) :

L'an passé, on avait décerné un coup de cœur à cet auteur suisse installé en Islande : un parcours pour le moins atypique que celui de Joachim B. Schmidt !
Après Kalmann, voici le second épisode traduit en français : Kalmann et la montagne endormie.

Les personnages :

C'est avec beaucoup de plaisir que l'on retrouve ici cet incroyable personnage, Kalmann, l'idiot (pas si bête) du petit village islandais de Raufarhöfn et sa litanie de "correctomundo" (c'est un fan de séries tv et de hamburgers).
[...] Personne ne veut être le plus bête. Mais quelqu'un doit être le plus bête, et quand on est comme moi, c'est plus malin de ne pas le nier.
[...] Correctomundo ! me suis-je exclamé fièrement.
Le voici encore un peu plus désemparé puisque son grand-père, le seul qui se montrait vraiment bienveillant envers Kalmann, vient de décéder (rappelez-vous : il était à l'EHPAD dans l'épisode précédent).
[...] Grand- père et moi, on était aussi inséparables que le hamburger et les frites.
[...] — Ben disons que… ton grand-père n'aurait pas gagné le concours de popularité, a dit Elínborg d'un air songeur.
— Ça existe chez nous ? ai-je demandé, surpris.
— C'est juste une façon de parler, m'a expliqué Þóra.
Mais cela ne m'a pas empêché de me demander qui remporterait le concours de popularité de Raufarhöfn, s'il y en avait un. Hafdís, sans doute. Ou moi.

Le canevas :

On découvre avec surprise notre ami Kalmann aux US, arrêté par les flics ! 
Un épisode qui nous vaudra quelques bons mots !
[...] À part le fait que j'ai été arrêté par le FBI, je me plaisais beaucoup aux États-Unis.
[...] Les Américains sont comme ça, hyper sympas et reconnaissants bien qu'ils partent sans arrêt en guerre.
Pourquoi est-il parti là-bas ? Comment se retrouve-t-il menotté et interrogé par le FBI ?
Il va falloir revenir un peu en arrière jusqu'à cette lettre inattendue que sa maman a reçu ...
[...] Le jour où la lettre de mon père est arrivée avait déjà mal commencé.
De retour en Islande après l'épisode FBI, notre "shérif" Kalmann va devoir mener une véritable enquête sur une mystérieuse affaire d'espionnage, oui, oui : l'Islande est un pays au passé (un petit peu) agité et Kalmann va réveiller la montagne endormie.

♥ On aime :

 La mise en scène d'un personnage de débile ou de simplet est un exercice délicat et généralement plutôt casse-gueule. Joachim B. Schmidt s'en tire très honorablement car il prend soin de faire de son idiot un clairvoyant, comme celui de Dostoïevski : un innocent qui scrute ses concitoyens d'un regard vif et perçant. Les dialogues décalés entre Kalmann et ses proches sont particulièrement savoureux.
 La première partie du bouquin peine un peu à se mettre en place et l'on ne voit pas très bien pourquoi Joachim Schmidt a voulu nous emmener à Washington. 
Bon, on comprendra vite bien sûr mais pour autant, cette excursion n'est pas tout à fait convaincante et l'on a hâte que le FBI se débarrasse de l'insaisissable Kalmann et l'exfiltre vers l'Islande !
 De retour dans le petit village de Raufarhöfn, la seconde partie sera beaucoup plus intéressante et l'on y retrouvera l'ambiance de l'épisode précédent. On va (re)découvrir un petit pays tiraillé, à l'époque de la guerre froide, entre ses sympathies 'socialistes' et l'occupation américaine. 
Voilà qui fait écho aux romans d'Arnaldur Indriðason qui a lui aussi, fréquemment évoqué le difficile passé de ce petit pays très convoité. 

Pour celles et ceux qui aiment l'Islande.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Gallimard (SP).
  

mercredi 18 décembre 2024

Cabane (Abel Quentin)


[...] Les prophètes de malheur sont rarement écoutés.

En 1972, quatre jeunes universitaires prédisaient, modélisation à l'appui, l'effondrement de notre croissance exponentielle. Abel Quentin nous rappelle le message plus que jamais pertinent de ces lanceurs d'alertes, collapsologues avant l'heure.

L'auteur, le livre (477 pages, 2024) :

Avec un peu de décalage, Abel Quentin s'empare du Rapport Meadows qui vient de fêter ses cinquante ans en 2022. Son bouquin, Cabane, a au moins le mérite de nous obliger à tapoter quelques recherches autour de ce fameux rapport et de ses auteurs qui en 1972, tirèrent (vainement) la sonnette d'alarme.
On était un tout petit peu trop jeune pour avoir entendu parler de ce rapport, mais c'est là une bien piètre excuse car il a été régulièrement actualisé depuis, tous les dix ans à peu près.

Le contexte :

Le bouquin évoque les auteurs du Rapport Meadows intitulé Les limites de la croissance, publié en 1972. Ces 4 jeunes universitaires du MIT analysaient les interactions de plusieurs “systèmes dynamiques complexes” (économie, démographie, ressources, pollution). Leurs modèles prédisaient un effondrement mondial vers 2050, en raison de notre croissance exponentielle insoutenable pour la planète.
[...] Les activités humaines peuvent-elles poursuivre leur croissance de façon durable, face aux limites des ressources naturelles non renouvelables ?
[...] Il est particulièrement déstabilisant de découvrir que nous vivons dans un monde fini, dont les limites physiques ne peuvent être dépassées.
À sa sortie, le rapport Meadows s'est vendu à des millions d'exemplaires mais ne nous inquiétons pas, il est tombé assez rapidement dans les oubliettes : aucun système politique n'est capable de faire les choix nécessaires et l'on sait aujourd'hui ce que devient notre planète. 
“Les prophètes de malheur sont rarement écoutés” et généralement “on préfère foncer dans le mur en klaxonnant”.
Donc tout va bien, ce n'était qu'un rapport de plus, comme ceux du GIEC, une alarme que l'on peut oublier d'entendre en continuant de boursicoter sur des bulles spéculatives. Ouf.
Les auteurs du Rapport Meadows de 1972 (rebaptisé Rapport 21 dans le livre) étaient des Cassandre, des lanceurs d'alerte avant l'heure, des collapsologues, bien avant que tous ces mots ne soient inventés.
En 1979, quelques uns de leurs collègues vont même sortir le Rapport Charney sur le réchauffement climatique ! 
Toutes ces alertes ne datent donc pas d'hier mais bien d'avant-hier, il n'est pas inutile de le rappeler.
Comme ceux du GIEC, le rapport Meadows est souvent cité par ceux qui ne l'ont pas lu (moi, le premier) et le bouquin d'Abel Quentin est justement là pour vous permettre d'en parler à votre tour.

On n'aime pas vraiment :

 La première partie du bouquin (beaucoup trop longue) s'attache aux pas des quatre universitaires du rapport, qui pour les besoins du roman, ont été redessinés et déménagés à Berkeley, la côte ouest est plus glamour et plus évocatrice des hippies. C'est un subtil mélange de bavardage intellectuel, d'ironie arrogante et d'amertume cynique : une recette qui ressemble fort aux figures imposées d'un prix qu'on court.
On a donc bien failli décrocher de ce bavardage un peu vain. 
➔ Mais à mi-parcours, le bouquin change du tout au tout : Abel Quentin catapulte le lecteur en 2022, année marquant le cinquantenaire du rapport. En quelques pages, il nous résume le contexte qu'il vient de trop longuement développer et introduit un nouveau personnage : un journaliste se met à enquêter sur le quatrième larron du Rapport, le mathématicien norvégien, que l'écrivain avait pris soin de nous rendre un peu mystérieux. L'intrigue est enfin lancée.
➔ Las, la dernière partie du roman se perd dans un délire catastrophiste de survivalistes sectaires. On comprend bien que ce n'est qu'une histoire et pas la thèse d'Abel Quentin, mais paradoxalement, cela dessert dangereusement le propos initial. Le roman semblait jusqu'ici plutôt un hommage un peu ennuyeux aux auteurs du fameux Rapport Meadows mais transformer l'un des auteurs en savant fou (littéralement) n'est pas vraiment rendre service aux lanceurs d'alertes. 
Avec beaucoup de mauvaise foi et un peu de méchanceté gratuite, laissons le dernier mot à Abel Quentin lui-même :
[...] Je relus à l’aube, et trouvai tout cela un peu fabriqué. C’était paresseux, sensationnel, approximatif, mais tout le monde le faisait, et il fallait bien vivre.

Le canevas :

Dans ce roman, Abel Quentin ré-invente donc le parcours des auteurs du célèbre Rapport Meadows (rebaptisé Rapport 21 dans le livre) en s'inspirant de quelques éléments de leur vie réelle pour créer ses propres personnages (il faut d'ailleurs régulièrement tapoter sur le ouèbe pour démêler le vrai du faux et de l'à peu près vrai).
Ce seront les Dundee qui vont figurer les Meadows, un couple de hippies écolos (c'était l'époque). 
Dans la véritable équipe d'universitaires aux côtés des Meadows, il n'y avait pas de français mais bien un norvégien (Jørgen Randers) et un autre américain (William Behrens).
Aucun des quatre personnages d'Abel Quentin n'est vraiment sympathique : on les découvre perdus entre leurs égos, leurs déceptions (leur rapport fera beaucoup de bruit ... pour rien), leurs obsessions et leurs mesquineries. Voire leurs contradictions, puisque le personnage français inventé par l'écrivain finira par travailler pour l'industrie du pétrole. Bref, ce sont des gens très ordinaires.
[...] « Il y a cinquante ans, nous nous battions pour que nos sociétés humaines évitent l’effondrement. Aujourd’hui, la seule chose que nous puissions faire, c’est les préparer à encaisser le choc. »
La dernière partie du bouquin suit le journaliste qui enquête sur les traces du quatrième auteur du rapport, le norvégien, que l'auteur figure en gourou sectaire, disciple de Unabomber le premier terroriste technophobe.
[...] Gudsonn m’avait dit qu’il fallait écrire, dans le rapport, que nous préconisions un contrôle strict des naissances. Et – je m’en souviendrai toute ma vie – il avait ajouté une phrase glaçante, il avait dit : « Dans un premier temps. »

Pour celles et ceux qui aiment les équations.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions de L'Observatoire (SP).
  

vendredi 13 décembre 2024

Un ballon sur la banquise (Harris MacDonald)


[...] Personne à part un Suédois fou.

En 1897, une expédition en ballon vers le pôle tourne au drame. Ce roman, librement inspiré de cette odyssée tragique, fusionne avec ironie l'ambiance de Jules Verne et celle d'une romance délicieusement old-school.

L'auteur, le livre (368 pages, septembre 2024) :

Encore une histoire vraie, comme on dit, décidément 2024 aura été l'année de ces récits (qu'on adore évidemment).
Cette fois c'est Harris MacDonald (pseudo de l'universitaire californien Donald Heiney) qui s'inspire de la folle et tragique odyssée de l'ingénieur suédois Salomon August Andrée qui, un peu avant 1900, partit en ballon pour le pôle nord avec deux acolytes.
Curieusement seuls deux romans de cet auteur ont été traduits en français : visiblement il y a du retard à rattraper car c'est une belle plume, très agréable à lire.

Les personnages :

Côté casting, c'est très simple : ils ne sont que trois à prendre place dans le ballon à l'été 1897, trois ingénieurs téméraires et ce roman serait le récit de l'un deux, le major suédois Gustav Crispin, très très librement inspiré de cette expédition.
Mais une jeune dame va également prendre place dans le bouquin et venir égayer notre cohabitation avec les trois aéronautes : voici Luisa, la délicieuse chérie du major qui, au fil du voyage, va s'inviter dans les pensées et rêveries du major, un récit dans le récit.

♥ On aime :

 On aime l'humour subtil, l'autodérision, le ton aristocratique et désuet dont Harris habille son récit : cette ambiance à la Jules Verne est tout bonnement délicieuse.
 Et puis il y a ces pages peuplées des pensées, souvenirs et divagations du major qui faisait la cour à une charmante jeune femme. Leurs jeux amoureux, leurs chassés-croisés, leurs aventures sont un aimable divertissement digne du meilleur théâtre. Une histoire d'amour teintée d'un érotisme subtil et d'une plaisante ironie.
[...] – Alors avec ce système, un ballon pourrait aller n’importe où ?
– Si le vent le permet.
– Comment ça, si le vent le permet ?
– Il est possible de louvoyer contre le vent en diagonale, mais pas de le heurter de front.
– Pourrait- on aller, par exemple, jusqu’aux lacs italiens ?
J’éclatai de rire.
– Vous êtes une incorrigible sentimentale.
– Et vous un barbare arithmétique.
[...] Ma compréhension de la femme (je commençais seulement à le voir) était imparfaite.
 Le lecteur arrivait passionné par le défi aéronautique et se retrouve ému par un challenge amoureux. 
Dans la préface, Philip Pullman résume fort bien tout le plaisir que l'on a pu prendre à cette lecture :
[...] L'absurdité tragi-comique de l’existence. Les protagonistes de Harris ne font en général pas preuve d’héroïsme. Ils sont ironiques, spirituels et pleins d’empathie, avec un sens aigu du ridicule.
[...] Harris savait mieux que quiconque comment capter l’attention et la retenir, et comment agencer les événements d’un récit de manière à nous faire tourner la page. 

Le canevas :

Voici encore un récit d'explorateurs partis à la conquête d'un but impossible.
[...] Le Pôle est un but difficile, voire impossible, à atteindre que l’on doit néanmoins poursuivre, puisque l’Homme est condamné à rechercher et à connaître toute chose, que ce savoir lui procure ou non du plaisir.
[...] Et supposons que vous le trouviez malgré tout, cet endroit merveilleux où tout le monde est tellement impatient de poser le pied. Vous trouveriez quoi, au juste ? Absolument rien.
[...] C’est une abstraction, une fiction mathématique. Personne à part un Suédois fou ne pourrait lui trouver le moindre intérêt.
Le bouquin entrelace astucieusement le récit de l'expédition et les souvenirs amoureux du major Crispin.
Mais, chut, Harris MacDonald nous a réservé quelques surprises !
Dans la vraie vie de 1897, l'expédition fut hélas bien plus tragique : mal préparés, les aéronautes s'échouèrent sur une île au bout d'une trentaine d'heures de vol sans avoir atteint le pôle. On les retrouvera congelés 30 ans plus tard, à la faveur d'un été torride qui poussa les chasseurs de phoques un peu plus au nord des routes habituelles.

Pour celles et ceux qui aiment jouer au ballon.
L'histoire vraie racontée (avec photos) par les éditions Phébus ou un autre site web.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Phébus (SP).
Ma vidéo sur Bookstagram.  Ma chronique dans la revue Actualitté.

lundi 9 décembre 2024

La propagandiste (Cécile Desprairies)


[...] Elles avaient su « se débrouiller ».

Pendant l'Occupation, le monde des collabos antisémites décrypté de l'intérieur : dans ce roman autobiographique, l'historienne Cécile Desprairies dresse un captivant portrait intime de son passé familial. Pour mieux s'en libérer.

L'auteure, le livre (216 pages, août 2023) :

Cécile Desprairies est historienne, spécialiste des années d'occupation et de collaboration, une période sur laquelle elle a écrit plusieurs ouvrages très sérieux.
On la découvre ici avec son seul roman, très autobiographique, La propagandiste, un roman de 2023 qui vient de sortir en poche : un de nos derniers coups de cœur de l'année !

Les personnages :

La propagandiste dont il est question, c'est Lucie, nom de code dans le roman pour sa maman. 
La vocation d'historienne de Cécile Desprairies pour l'occupation et la collaboration s'explique alors : elle est née dedans ! 
Ou plus exactement elle est née après (une fois sa mère remariée), mais dans une famille de collabos antisémites qui n'a jamais tourné la page : dans les années 40, maman s'efforce de "traduire" et promouvoir en France la propagande allemande et l'idéologie nazie. Et elle est plutôt douée, “elle est même qualifiée de « Leni Riefenstahl de l’affiche » !”.
[...] Les Allemands ont surnommé la jeune femme “Die Propagandistin”, la propagandiste. Son esprit pragmatique et son sens des priorités la guident.
Elle a épousé en premières noces Friedrich, un nazi bon teint, un biologiste passionné par les théories des gènes et des races.
Il y en aura d'autres, un second époux (le père de l'auteure), et puis des tantes, des oncles, ... tous ont trempé dans la collaboration et se sont enrichis par spoliation et usucapion.

♥ On aime très beaucoup :

 Il est facile de dépeindre les collabos de l'époque comme d'affreux méchants : ils font d'excellents salauds dans de nombreuses histoires. 
Mais Cécile Desprairies réussit là un tout autre exercice : en tirer un portrait (difficile puisqu'il s'agit "des siens"), un portrait qui ne tombe pas dans la caricature, un portrait qui nous éclaire et nous aide à comprendre.
Avec un courage remarquable, elle nous dévoile les secrets de sa famille, nous offrant un aperçu intime de son passé, maintenant que ses parents ne sont plus là.
 La première partie de la vie de Lucie est une “belle histoire d’amour, certes nazie, mais d’amour tout de même”. C'est ce qui fait tout le charme et l’ambiguïté de cette femme, jeune et belle, vive et intelligente : elle est fascinante. Des collabos il y en a eu d'autres, et ce n'était certainement pas la pire. 
Mais Lucie restera éternellement prisonnière de son passé, incapable de laisser derrière elle son ancienne gloire et son premier amour. Elle passera les trois quarts de son existence dans le déni de la réalité car “seul le déni lui reste. Se mentir rend les choses plus supportables”.
[...] Vivre dans le monde d’aujourd’hui, voilà ce qu’elles ne savaient pas faire.
C'est ainsi que l'auteure va grandir dans le mensonge, le déni et le non-dit.
Depuis son enfance Cécile Desprairies cherche à décrypter dans son histoire familiale, le sens réel que peuvent cacher des mots comme occupation ou collaboration. La voici contrainte de jouer à un terrible “Jeu des Sept Familles. On ferait comme si, dans la famille nazie, je demandais le père savant fou, la mère collabo, la grand-mère morphinomane, la fillette perturbée”.
De toute évidence, cette quête a nourri ses ouvrages historiques tout comme ce roman. 
Alors si vous pensiez connaître des parents toxiques, découvrez l'enfance de Cécile Desprairies ! 

Le canevas :

“La petite” Coline (nom de code de l'auteure dans le roman) a grandi à Paris entourée de femmes pieds-noirs.
[...] Le matin, dans l’appartement de mes parents, lorsque la parentèle féminine – mère, tante, cousine, grand-mère – s’y retrouvait, dans une ambiance de gynécée. C’était un club de femmes « à l’italienne ».
[...] Avant neuf heures du matin, elles étaient toutes déjà là. Il allait y avoir des cris et du mouvement, car la paix n’était pas leur fort.
[...] Le cirque des femmes se mettait en branle. Elles jouaient indéfiniment la même pièce, avec variantes mineures.
[...] Et parce qu’il n’y a pas de spectacle sans spectateur, j’étais le témoin muet, « la petite ».
Ces pages sont savoureuses et auraient pu faire un beau roman de famille mais hélas, il nous faut aller au-delà des apparences, des non-dits et fouiller dans le passé de “Lucie”.
[...] Quand elles étaient plus calmes, ma mère et ma tante évoquaient une époque qui leur avait été favorable, juste rétribution du temps où elles avaient « trimé dur pour s’en sortir ». Elles avaient su « se débrouiller ». À les écouter, le monde de « l’Occupation » avait été une sorte de conte de fées. Elles répétaient de façon énigmatique : « On n’est pas passées à côté. » J’ai mis des années à comprendre ce que signifiait cette expression.
Pour comprendre ces femmes, il faut remonter jusqu'à cet hiver 1940 au cours duquel la jeune Lucie qui a tout juste vingt ans, va faire la connaissance d'un alsacien étudiant en médecine.
Lucie et Friedrich, unis dans leur quête d'un monde nouveau et plus pur, filent le parfait amour. Lui, plongé dans la biologie, elle, dans la propagande anti-juive, tous deux œuvrent avec ardeur à façonner cet avenir qu'on leur promet.
À Paris, “le logement du couple a été fourni par le Commissariat général aux questions juives, qui a constaté que le locataire en était « parti »”.
Ils fréquentent Céline (l'écrivain) et Philippe Henriot, “le Goebbels français”, ils participent aux “conférences de l’Institut d’étude des questions juives. L’IEQJ est une sorte d’institut d’opinion sur la « question juive » (c’est le temps où la question n’a pas encore trouvé sa Solution).”
Mais après la Libération, sa mère ne pourra jamais tourner la page et regrettera toujours et son premier amour et cette belle époque où tout lui souriait, où tout lui semblait possible. 

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Ma vidéo sur facebook et ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.

samedi 7 décembre 2024

Idées cadeaux pour Noël 2024

Pour piocher au gré de vos envies, voici quelques idées de bouquins sélectionnés parmi nos meilleures lectures 2024 (et il y en eu pas mal !) et qui pourraient peut-être plaire au plus grand nombre :

➔ Idées cadeaux 2024, c'est ici.

Pas mal de polars bien sûr, mais aussi des "romans noirs" et quelques "histoires vraies" comme on les aime ainsi que plusieurs romans : l'année 2024 fut riche et féconde en belles trouvailles, profitons-en puisque, pour la plupart de ces suggestions, il s'agit de "sorties 2024".  

Il y a même plusieurs belles plumes qui sont sorties tout récemment pour la Rentrée littéraire 2024.

mercredi 4 décembre 2024

Une colère simple (Davide Longo)


[...] Vraiment un chouette moment !

Troisième enquête de l'équipe de choc montée à Turin par Davide Longo dont la réputation de “ nouvelle star du polar italien ” est décidément bien méritée.

L'auteur, le livre (346 pages, octobre 2024, 2021 en VO) :

Rentrée littéraire 2024.
Davide Longo, c'était en début d'année la coqueluche des médias transalpins qui l'annonçaient comme la star du nouveau polar italien.
On l'a découvert avec les deux premiers épisodes d'une série intitulée Les crimes du Piémont : l'Affaire Bramard et Les jeunes fauves, deux polars que l'on avait déjà beaucoup aimés.
Cette troisième enquête, Une colère simple, confirme à nouveau que la réputation de la nouvelle star du polar italien est loin d'être usurpée : c'est vraiment une plume de grand talent

♥ On aime beaucoup :

 On aime beaucoup ces romans policiers qui se construisent autour de leurs personnages plutôt que de leur intrigue criminelle. 
Et il faut reconnaître que Davide Longo nous a concocté un sacré trio d'enquêteurs :
Il y a là Corso Bramard, celui qui ouvrait la série, un vieux flic retraité au flair légendaire, un taiseux réfugié dans ses montagnes du Piémont, un type qui garde au frais dans sa cave ses meilleurs bouquins, comme d'autres leurs bouteilles de vin.
[...] Il a résolu des affaires là où les autres ne voyaient même pas d’affaire. Personne n’y comprenait rien mais pour finir, c’est lui qui avait raison. Moi qui ai travaillé avec lui, je n’ai jamais su comment fonctionnait son cerveau.
Il y a là Vincenzo Arcadipane, le commissaire chevronné, ancien disciple de Bramard, qui n'arrive pas à se remettre de son divorce, qui traîne un chien abominable et qui consulte une psy estropiée encore plus malade que lui.
[...] Arcadipane marche au milieu de tout cela suivi, à bonne distance, de son vilain chien à trois pattes.
Et puis Isa Mancini, la jeune geek percée et tatouée, une sorte de clone italien de la suédoise Lisbeth Salander.
[...] — Vous me suivez ? À quel croisement vous ai- je perdu ? Vous m’avez l’air un peu confus !
— Je le suis.
Mais tous les autres, les voisins, les gentils, les méchants, tous sont croqués avec finesse, saveur, parfois avec humour mais toujours avec beaucoup d'humanité.
 Davide Longo a pris son temps au fil de ces trois épisodes pour installer tous ses personnages. Et pour cette troisième enquête ... il se lâche un peu !
On va découvrir avec délectation et jubilation une ambiance, un style, une écriture (très elliptique) qui évoque la folie douce de Fred Vargas et de son commissaire Adamsberg. C'est savoureux.
Alors oui, c'est définitivement confirmé, Davide Longo est bien à la hauteur de sa réputation transalpine et je ne peux que te conseiller de prendre le train pour rejoindre tout le monde à Turin. 

Le canevas :

Ça commence de manière étrange avec une enquête qui n'en est pas vraiment une, des suicidés qui n'en sont peut-être pas, et un commissaire Arcadipane qui ne sait plus trop où il en est. 
Son enquête comme sa vie perso, tout part en sucette ...
[...] Si sa vie ne partait pas à vau-l’eau et cette affaire, en couilles, ce serait vraiment un chouette moment !
Il aura grand besoin de l'aide de Bramard et de la jeune Isa et même d'un ancien flic à moitié barge qui ne s'exprime qu'avec des paraboles bibliques, il faudra toute l'équipe pour venir à bout de ces morts en série qui semblent sorties tout droit d'un jeu de rôle ...

Pour celles et ceux qui aiment les flics.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions JC. Lattès - Le Masque (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.

lundi 2 décembre 2024

Le prêtre et le braconnier (Benjamin Myers)


[...] Amen, dit le prêtre.

La campagne britannique n'est pas toujours riante : la voici qui sert de décor à un conte noir aux accents gothiques, une scène de chasse où le gibier est une jeune femme et le chasseur un prêtre diabolique.
Mais ce sera un tableau plus proche de Jérôme Bosch que de John Constable.

L'auteur, le livre (288 pages, octobre 2024, 2014 en VO) :

L'anglais Benjamin Myers n'en est pas à son coup d'essai et semble s'être fait une spécialité de romans noirs qui prennent place dans la campagne britannique.
On le découvre ici avec sa toute dernière histoire traduite en français : Le prêtre et le braconnier.
Ça s'appelle Beastings en VO : tout un programme pour cette traque lugubre dans un décor vénéneux (comme les champignons), aux couleurs de la fin sinon du monde, du moins de l'humanité.

Les personnages :

Ils n'ont pas de nom : la jeune fille, le bébé, le prêtre et le braconnier, voici les protagonistes de la chasse à la femme qui est lancée dans les landes de Cumbrie, aux frontières de l'Ecosse.

Le canevas :

La jeune fille, sans doute muette et un peu simplette, s'enfuit de la maison où elle avait été placée par le curé qui gère un orphelinat. Dans sa fuite, elle emporte avec elle le bébé de la famille.
On devine un passé lourd de maltraitances (très lourd) : le prêtre est connu pour être un peu trop proche de ses brebis.
Le père de famille demande au curé de lui ramener son enfant. Le berger entend bien récupérer la brebis égarée de son cheptel et, pour la traquer dans les landes, il va se faire aider par un braconnier.
[...] Je retrouverai votre enfant monsieur Hinckley. Et je retrouverai la fille mais dans quel état je ne saurais le dire. Morts ou vifs ce sera la volonté de Dieu.
Une chasse à la femme qui va durer plus longtemps que ne le pensait le braconnier ...
[...] Ça fait des jours qu’on est partis. Qu’on crève à moitié de faim et qu’on sent mauvais. Tout ça pour une petite idiote qui n’est pas aussi idiote qu’elle y paraît.
Mais le prêtre est tenace et s'obstine dans sa traque.
[...] Impressionné par la rapidité et l’endurance du Prêtre. Cet homme semblait doué d’une volonté surnaturelle. Mû par une force intérieure. Dieu supposa le Braconnier.
Dieu ... et peut-être aussi un peu de coke. Pour aider.
Le dénouement sera à la hauteur de cette traque “infernale” (au sens propre du terme) : les banshees, créatures mythologiques celtes, seront même invoquées ...

♥ On aime un peu :

 Benjamin Myers fait preuve d'une écriture saisissante, ses phrases courtes et brutales, dépourvues de virgules, dessinent une prose aux accents gothiques, aussi rugueuse que la laine épaisse dont il faut se vêtir dans ces terres froides et humides. 
Ça gratte et ça démange : on a les pieds dans la gadoue, on est mouillé, on a froid, on bouffe ce qu'on peut, les conserves à même la boîte, on fait ses besoins quand on peut, on se lave encore moins souvent, on crève de soif et de faim, on sue et on pue, on souffre et on survit ... 
Voilà une écriture au plus près des corps et de la terre, servie par une belle traduction de Clément Baude : une prose qui rappelle parfois celle de Terres promises de Bénédicte Dupré la Tour, paru cette automne également.
Ici les protagonistes n'ont même pas de nom, peut-être parce que le véritable personnage de ce roman pourrait bien être la campagne anglaise elle-même, encore plus sauvage que ceux qui l'habitent.
 La violence est très présente, fortement ressentie mais, paradoxalement elle n'est qu'à peine évoquée : on devine, plus qu'on apprend, le passé terrible de la jeune fille, un calvaire indicible, ce qui nous laisse imaginer le pire.
Et même pour le dénouement, le lecteur n'arrivera que trop tard, condamné à deviner ce qui a bien pu se passer ... 
On est finalement terrifié, non pas par ce que nous décrit Benjamin Myers, mais par ce qu'il nous donne à imaginer. Voilà un auteur bien retors.
 Les esprits chagrins pourront regretter que les personnages soient proches de la caricature. C'est plus un conte, une fable, qu'un véritable roman noir. Comme si l'auteur voulait préserver son lecteur et instaurer une distance salutaire avec cette sinistre histoire.

Pour celles et ceux qui aiment les femmes plus que les prêtres.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Seuil/Points (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.