vendredi 10 juin 2016

Une contrée paisible et froide (Clayton Lindemuth)

[...] – Elle a volé ta musique », dit Liz.

Pas de chance en ce moment avec les 'romans noirs' : après une Corrosion peu convaincante, nous voici également un peu déçus de notre voyage en compagnie de Clayton Lindemuth dans Une contrée paisible et froide.
On se croirait propulsé au siècle dernier, enfin je veux dire au début du siècle dernier, dans un moyen-âge américain digne des plus sombres far-west sans foi ni loi.
Non, nous sommes hier, dans les années 70 où les seuls signes de modernité viendront de quelques motoneiges mais certainement pas des mentalités obtuses avec qui nous allons partager quelques pages.
Une petite bourgade perdue sous la neige au fin fond du Wyoming.
Un trou paumé où l'on vit sous la coupe de Milices (on sentirait presque des relents du KKK en dépit de la latitude) et sous celle du shériff Bittersmith. Une ville qui s'appelle ... Bittersmith et où l'on est shériff de père en fils depuis la fondation de Bittersmith par Bittersmith.
[...] Les motoneiges entourent la maison en rugissant, des deux côtés. Depuis le début j’ai l’impression qu’il n’y a pas moyen que ça se termine bien.
[...] Souvent, on sait d’avance ce qui va vous détruire et l’on a parfaitement raison.
Ça commence très mal : même pas besoin de se dire que tout cela va très mal finir (le déroulé habituel du roman noir), tout débute presque par la fin avec les premiers cadavres (mais y'en aura d'autres, rassurez-vous, beaucoup d'autres) et l'on va plutôt remonter dans le passé des protagonistes.
C'est peut-être justement du côté des personnages que ça pèche un peu : les gentils sont vraiment trop naïfs pour susciter notre empathie et les méchants, alors là, les méchants sont vraiment mais vraiment trop dégueulasses (sans recul ni second degré) pour nous inquiéter véritablement. Une galerie de caricatures.
On a même droit à un ou deux coups de théâtre à mi-parcours, à la Hercule Poirot, façon : mais qui donc est qui ?
La seule personne suffisamment ambigüe pour que l'on s'y intéresse est la jeune fille par qui tout arrive. Elle restera malheureusement en retrait, dans l'ombre, et sera celle dont on parle beaucoup mais que l'on connait si peu, celle qui garde son mystère. Trouble et troublante, innocente et diabolique, un peu sorcière même, puisqu'elle entend une étrange musique quand quelqu'un s'apprête à mourir ...
[...] J’ai entendu parler d’un chat qui aime se promener chez les vieux et s’installer sur les cuisses de la personne qui va mourir bientôt, et j’ai entendu parler de chiens qui flairent le cancer. Une fille qui entend de la musique avant que quelqu’un meure, sans doute qu’un jour les scientifiques trouveront une explication à ce phénomène.
Mais à Bittersmith, les pères sont de gros dégueulasses qui tripotent (enfin tripotent ...) tout ce qui passe en général à portée de queue et leurs propres filles en particulier.
[...] Je n’allais pas avoir la vie facile si je me dressais comme la statue de la justice pour lui dire de laisser sa fille tranquille.
[...] - Burt, vous ne pouvez pas continuer éternellement de faire ce que vous faites avec elle. Ce n’est pas dans l’ordre des choses.
[...] – Vous allez encore essayer de me tuer ? Parce que j’aime votre fille et que je veux prendre soin d’elle ? Qu’est-ce qui va pas chez vous ? »
Mais comme on l'a dit, on a quelque peu peiné derrière la motoneige de Lindemuth (et c'est pourtant pas faute d'entraînement en ce moment [1] [2] !) et cette lecture n'aura pas été vraiment plaisante.
C'est pourtant plutôt bien écrit en dépit de quelques métaphores un peu lourdingues qui dérapent parfois sur la neige :
[...] Regarder devant ou derrière revient à ajouter de l’eau à un verre à demi plein en essayant de distinguer l’eau qu’on vient d’y verser.
Au fond, à la réflexion, ce qui dérange dans ce bouquin c'est qu'il est foncièrement déprimant.
L'ami Lindemuth donne ici une troublante image de son monde et de ses compatriotes.
À sa décharge, faut dire qu'il sait de quoi il parle (au ton rageur de son bouquin vengeur, on s'en était un peu douté, ça sentait le règlement de compte) : son propre grand-père abusa longtemps de toutes les jeunes filles de la famille avant de mourir tranquillement de sa belle mort.
Les propos du jeune héros du bouquin prennent alors un tout autre sens :
[...] Pour la première fois, j’ai compris que tout le monde savait, sauf moi.

Pour celles et ceux qui aiment les trucs déprimants
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