[...] Irresponsabilité ou incompétence.
On se souvient avec effroi de la découverte du petit bouquin de Christophe Bataille, L'expérience, qui racontait les essais atmosphériques des bombes "Gerboises" en 1961 en Algérie à Reggane, avec des trouffions envoyés dans une tranchée, vêtus d'une légère combinaison de protection, à quelques centaines de mètres de la bombe, à côté de cages renfermant lapins et chèvres.On remet ça avec Les irradiés de Béryl, un témoignage de plusieurs acteurs (dont principalement Louis Bulidon) de l'essai de la bombe Béryl en mai 1962 : un fiasco, une catastrophe, un Tchernobyl avant l'heure.
Louis Bulidon était l'un des appelés présents sur le site d'In-Ekker, en plein cœur du Hoggar, qui accueillait les essais souterrains français après les protestations qui suivirent les essais atmosphériques de Reggane.
Des appelés qui se trouvaient privilégiés d'échapper aux opérations de maintien de l'ordre en Algérie, des sursitaires jeunes et enthousiastes de participer à l'essor de la recherche nucléaire française, ignorants des tenants et des aboutissants et surtout des dangers auxquels ils étaient exposés.
[...] De fait, nous revendiquions un statut d'universitaires, et plus précisément de scientifiques mis à disposition de l'armée.
Le petit bouquin du deuxième classe Bulidon a été écrit tout récemment, cinquante ans après les faits : il évite heureusement le ton trop polémique ou revendicatif et se contente d'exposer les faits de manière précise et rigoureuse (la maman de Louis Bulidon avait conservé ses lettres de l'époque, ce qui permet de retrouver un peu de la naïveté d'alors).
La bombe Béryl du 1er mai 1962 sera une cata : la montagne où elle était enfouie n'a pas résisté et un énorme nuage radioactif s'en est échappé, irradiant toute la zone, militaires et indigènes, jusqu'au Niger. Lorsque le nuage est apparu, ce fut la débandade parmi les officiels et les ministres (Messmer, encore lui, était présent).
[...] Munis de seaux d'eau, de brosses et de lessive [...] ils se livrèrent à un spectacle ahurissant. Totalement indifférents à ma présence, ils se débarrassèrent de leurs vêtements et, nus comme des cochons de ferme prêts pour la saignée, ils se roulèrent comme des fous furieux, chacun dans son banc de sable, tout en maniant les brosses du laboratoire pour se frotter tout le corps.Les deux mon capitaine ?
[...] Pour ma part, je n'irai pas jusqu'à affirmer que nous aurions servi de cobayes à In-Ekker, mais j'estime que l'Armée ne peut échapper au soupçon d'irresponsabilité ou d'incompétence.
Pour celles et ceux qui aiment un peu savoir.
L'avis du Monde.
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