mercredi 27 septembre 2023

Pour mourir, le monde (Yan Lespoux)

[...] Le voyage se passa comme prévu. Presque.

    L'auteur, le livre (432 pages, 2023) :

On connaissait le médoquin Yan Lespoux par ses chroniques du blog Encore du noir, mais il nous avait bluffé il y a deux ans avec Presqu'îles, un excellent recueil de très courtes nouvelles, bien ancrées dans ses dunes landaises, livre auquel nous avions décerné un joli coup de cœur.
Alors nul doute qu'il nous fallait embarquer sans tarder à bord des navires de sa majesté du Portugal. Quitte à embrasser cette belle devise : Pour mourir, le monde.

    Le contexte :

Le titre est emprunté à un prédicateur jésuite, António Vieira, chantre des ambitions impérialistes de la couronne portugaise au temps glorieux de la Route des Indes, la Carreira da Índia :
Un lopin de terre pour naître ; la Terre entière pour mourir. 
Pour naître, le Portugal ; pour mourir, le Monde.
Nous sommes au début du XVII° siècle, le Portugal jadis conquérant est désormais rattaché à la couronne espagnole, mais la Casa da Índia continue d'abattre les forêts de l'Alentejo pour les navires de l'armada et d'embarquer tous les hommes qui passent à portée de bâton, [plus ou moins volontairement selon qu’ils avaient quelque chose à fuir ou qu’ils n’avaient au contraire pas réussi à échapper assez vite au regard des recruteurs].
Le roman s'inspire de faits réels historiques dont notamment, le terrible naufrage d'une flotte portugaise sur les côtes landaises en janvier 1627 lors d'une forte tempête, un drame de la mer qui fit près de 2.000 morts.

    On aime beaucoup :

❤️ On aime la prose riche et travaillée mais toujours fluide de Yan Lespoux qui fait la part belle aux termes du passé ou à la culture occitane de sa côte natale, aux traditions des beachcombers de l'époque : [les costejaires et les vagants, ces hommes sans toit qui arpentaient la côte à la recherche d’ambre, de biens échoués, de naufragés et de pèlerins de Saint-Jacques égarés à dépouiller] tout comme [ces gemmeurs petits et nerveux qui couraient les bois pour entailler les arbres et les vider lentement de leur résine tout en les gardant en vie].
❤️ On aime les trois histoires qui s'entrecroisent, véritable immersion dans le monde de la mer au XVII° siècle.
▼ Mais comme bien souvent dans ce genre de roman d'aventures, l'auteur se laisse emporter et le gros bouquin aurait gagné à être allégé de quelques répétitions et longueurs.

      L'intrigue :

Trois personnages, trois destins, et trois rivages à chaque coin du monde.
Fernando s'est enrôlé dans l'armada portugaise pour Goa, le comptoir indien : une vie pleine de bruit et de fureur, de pirates, de canonnades et de périls marins.
[...] Le voyage se passa comme Fernando l’avait prévu. Presque. Ils croisèrent bien un tigre, mais un seul cheval mourut. Et son cavalier. 
Diogo est à peine adolescent lorsque les anglais reprennent São Salvador de Bahia aux portugais sur la côte brésilienne.
[...] Les mercenaires de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales avaient été fidèles à leur réputation. Ils avaient violé, mutilé, détruit, volé, jusqu’à ce que leurs maîtres les rappellent à la niche et en pendent quelques-uns en gage de bonne volonté. Il fallait bien s’attacher les services de la population restée sur place.
Marie est une jeune femme qui tente de se faire une place et survivre parmi les résiniers et les naufrageurs de la côte landaise.
Sans doute le portrait le plus intéressant des trois.
[...] Marie, elle, n’a jamais autant contrôlé sa vie que depuis qu’elle a réussi à s’émanciper de son oncle. Elle le sait, maintenant, elle n’est prisonnière de rien ni de personne. [...] La vie n’est pas toujours facile sur cette côte désolée, mais ni plus ni moins qu’ailleurs et nul ne lui donne d’ordres.
Tout ce petit monde finira bien évidemment par se retrouver au tout début de 1627 pour le meilleur ou pour le pire ...
[...] Nul ne savait plus où on se trouvait entre la France et l’Espagne ni à quelle distance de la côte. Le navire craquait de toutes parts. [...] Tout le monde ici semblait avoir accepté son sort.
[...] Il va y avoir beaucoup d’hommes, beaucoup d’armes et des diamants que tout le monde veut. Le point d’honneur risque de passer après les tractations diplomatiques qui elles-mêmes vont vite céder le pas à la loi du plus fort.

Pour celles et ceux qui aiment les bateaux en bois et ne craignent pas les naufrages.
D’autres avis sur Bibliosurf et sur Babelio.
Mon billet dans 20 Minutes.

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