jeudi 2 novembre 2023

L'affaire Martin Kowal (Eric Decouty)

[...] Le fantôme du Che est revenu des ténèbres.

    L'auteur, le livre (320 pages, 2023) :

Eric Decouty est un journaliste d'investigation qui connait bien les milieux politiques.
Avec L'affaire Martin Kowal, il lève le voile sur quelques dessous peu reluisants des années Giscard, une époque rarement évoquée en littérature.

    Le contexte :

Le 11 mai 1976, Joaquim Zenteno Anaya, l'ambassadeur de Bolivie est assassiné en pleine rue à Paris. Un attentat revendiqué par une "Brigade internationale Che Guevara" : le général Zenteno avait été directement impliqué dans l'exécution du Che en 1967.
Mais la revendication d'extrême gauche ne serait peut-être que la couverture d'un règlement de comptes entre putschistes boliviens qui laisserait même entrevoir quelques fantômes de l'OAS.
En dix-huit mois, c'était le cinquième assassinat de diplomates étrangers à Paris !
Et ce ne sera pas le dernier.
Eric Decouty nous donne le ton : 
[...] L'Affaire Martin Kowal est une fiction. Mais la liberté du romancier m'a permis d'introduire ce policier imaginaire des Renseignements généraux dans la réalité politique des années 1970. Au fil de son enquête sur l'assassinat jamais élucidé de l'ambassadeur de Bolivie, Kowal va tenter de mettre au jour les coulisses du pouvoir giscardien. Des manipulations et des compromissions qui sont, aujourd'hui encore, largement couvertes par le secret.

    On aime beaucoup :

❤️ On est curieux du personnage trouble imaginé par l'auteur : le jour, Martin Kowal est flic aux RG et, la nuit, il fréquente les bars louches en quête de pilules ou de poudre, tourmenté par un passé entaché par l'ombre d'un père qui s'est trompé de camp dans les années 60 et s'est égaré à l'OAS.
[...] Fils d'un flic qui l'a élevé seul après la mort précoce de sa mère, dans la détestation des « Rouges » et l'amour de la littérature, Martin n'a jamais envisagé un autre métier que celui de son père.
❤️ On se passionne évidemment pour le contexte historique et politique du bouquin. À quelques années près, on n'est pas très loin d'une ambiance à la Sadorski (Romain Slocombe) : une ambiance délétère, des fréquentations douteuses, des personnages pas toujours sympathiques, quelques rencontres de figures historiques (vues de dos), … on nous fait visiter l’envers du décor et les coulisses cradingues d’une Histoire peu reluisante. Celle des compromissions et des opportunistes.
❤️ On apprécie que, en bon journaliste, Decouty reste concentré sur son sujet même s'il prend soin d'évoquer quelques décors pour donner de l'épaisseur à ses personnages. Et finalement on est bien content d'avoir terminer le bouquin : il faut avoir l'estomac solide pour visiter les dessous nauséabonds de la république giscardienne. 
On peut filer ensuite se plonger dans un polar horrifique et bien sanglant : cool, un roman.

      L'intrigue :

On apprécie le démarrage surprenant du bouquin puisque Decouty se paie la coquetterie de ne pas commencer par le début et nous évite le couplet trop attendu sur la scène de l'attentat avec le général bolivien à terre au pied du métro. Tout cela a déjà été dit et annoncé, le lecteur se retrouve donc quelques jours plus tard, d'emblée immergé au sein des équipes d'enquête des RG qui vont devoir collaborer avec leurs ennemis jurés de la DST.
[...] Martin se demande si le fantôme du Che est revenu des ténèbres pour demander des comptes à ses assassins.
[...] - Max, tu crois vraiment que ces détraqués sont capables de monter un coup aussi bien préparé que le meurtre du Bolivien ? De buter un type en pleine rue, au milieu des passants, et de repartir tranquillement en métro, comme des vrais pros ? 
- La situation est en train de nous échapper, Martin. Les vieux Maos comme moi sont sortis du jeu et l'odeur du sang a complètement vrillé les méninges des nouveaux. Dans six mois la France ce sera l'Italie.
C'est le jeune Kowal qui va mener l'enquête tout en sachant bien qu'il est manipulé, avec [l'impression de n'être qu'un pion au service du pouvoir]. Mais qui exactement tire les ficelles et pourquoi ?
Les Brigades internationales ne sont évidemment qu'un leurre bien commode mais qui se cache derrière ? Les rescapés de l'OAS ont fui en Amérique du sud, comme les nazis avant eux, mais quels sont leurs liens inavouables avec les sicaires des dictatures latines installées par la CIA ?
[...] Il disait que la bataille d'Alger avait posé les bases de l'OAS. Mais aussi que les types qui avaient inventé cette fameuse «guerre révolutionnaire» avaient fait des petits un peu partout dans le monde. L'un d'entre eux aurait même écrit un bouquin et leur technique barbare était enseignée dans les écoles militaires.
Eric Decouty avance des pistes solidement étayées même si tout cela est resté secret et n'a jamais été élucidé.

Pour celles et ceux qui aiment les barbouzes.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à Masse Critique de Babelio et aux éditions Liana Lévi.
Mon billet dans 20 Minutes.

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