mercredi 27 février 2008

Women (Charles Bukowski)

Mémoires d'un vieux dégueulasse.
Il y a quelques jours on ressortait de notre bibliothèque deux bouquins de John Fante : Le vin de la jeunesse et Grosse faim.
Fante, on l'a dit, c'est un peu le père spirituel de Charles Bukowski.
Un Bukowski qui a d'ailleurs grandement contribué à la popularité de Fante.
On tient avec ces deux-là, deux grands écrivains américains, deux piliers de ce siècle de littérature.
Bukowski c'est un peu et en de nombreux points le Serge Gainsbourg de la littérature US : provocateur (avec sa bouteille de pinard chez Bernard Pivot, c'était en 1978 et l'INA a gardé ça en boîte), le physique pas très beau mais grand collectionneur de femmes, grossier personnage et poète sublime.
Dans Women, Bukowski écrit sur les femmes. Enfin c'est ce qu'il dit ou c'est ce qu'il veut faire croire.
[...] - Je dois pas savoir m'y prendre avec les femmes, j'ai dit. 
- Tu sais très bien t'y prendre avec les femmes, a répondu Dee Dee. Et tu es un écrivain formidable. 
- J'préfererais savoir m'y prendre avec les femmes.
Mais, tout bien pesé, on s'aperçoit vite d'une différence essentielle entre le personnage autobiographique de Bukoswki, Hank Chinaski, et Arturo Bandini, le personnage fétiche de John Fante.
Ceux qui se dévoilent sous la plume de John Fante, ce sont «les autres» : la famille, les copains, les filles, le père, la mère, les oncles, et l'on apprend finalement très très peu de choses sur le petit Bandini/Fante.
Bukoswki, tout au contraire, parle avant tout de lui, enfin de Hank Chinaski.
Dans Women, les femmes défilent dans le lit de Chinaski comme dans la vie de Bukowski, mais l'on apprend finalement très peu de choses sur elles. Et c'est bien Bukowski/Chinaski qui se met à nu.
Est-ce l'âge ? l'époque ? mais les charmes sulfureux de Bukowski semblent aujourd'hui bien éventés. Certes on y parle de sexe et d'alcool, on y baise le soir, on y picole toute la nuit et on y dégueule au petit matin, mais cela ne choque plus guère.
[...] « Soit t'es trop saoul pour baiser le soir, soit t'es trop malade pour baiser le matin », disait-elle.
Car la vie de Chinaski/Bukowski est ainsi faite ...
... de beuveries :
[...] C'est ça le problème avec la gnôle, songeai-je en me servant un verre. S'il se passe un truc moche, on boit pour essayer d'oublier; s'il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter, et s'il ne se passe rien, on boit pour qu'il se passe quelque chose.
... de coucheries :
[...] - Je t'invite dehors pour le petit-déjeuner, j'ai dit. 
- D'accord, a répondu Mercedes. Au fait, on a baisé, hier soir ? 
- Nom de Dieu ! Tu ne te souviens pas ? On a bien dû baiser pendant cinquante minutes ! 
Je ne parvenais pas à y croire. Mercedes ne semblait pas convaincue. 
On est allé au coin de la rue. J'ai commandé des oeufs au bacon avec du café et des toasts. Mercedes a commandé une crêpe au jambon et du café. 
La serveuse a apporté la commande. J'ai attaqué mes oeufs. Mercedes a versé du sirop sur sa crêpe. 
- Tu as raison, elle a dit, on a dû baiser. Je sens ton sperme dégouliner le long de ma jambe.
(et encore, on a choisi un extrait soft !)
... et de littérature :
[...] Les écrivains posent un problème. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend comme des petits pains, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend moyennement, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend très mal, l'écrivain se dit qu'il est génial. En fait la vérité est qu'il y a très peu de génie.
Mais rapidement derrière ces propos apparemment scandaleux mais qui ne sont qu'un écran de fumée (et auxquels il serait bien dommage de s'arrêter et de passer ainsi à côté de ce « génial » écrivain), apparait bien vite le désarroi de Chinaski et c'est ce qu'on retiendra de cette relecture de Bukoswki.
[...] J'étais vieux, j'étais moche. C'était peut-être pour cela que je prenais tant de plaisir à planter mon poireau dans des jeunes filles. J'étais King Kong, elles étaient souples et tendres. Essayais-je en baisant de me frayer un chemin au-delà de la mort ?
Un misogyne qui ne peut pas se passer des femmes, un misanthrope profondément humain.
Capable d'écrire, entre deux énormes grossièretés :
[...] En beaucoup de domaines, j'étais un sentimental : des chaussures de femmes sous le lit; une épingle à cheveaux abandonnée sur la commode; leur façon de dire « je vais faire pipi »; ...

Pour celles et ceux qui aiment farfouiller au fond de l'âme humaine. 
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