samedi 9 février 2019

Terres fauves (Patrice Gain)

[...] Des fois j’aide un peu.

Coup de cœur pour le beau voyage que nous propose Patrice Gain; dans cette terre éloignée, perdue au bout du monde, qu’est l’Alaska.
[...] Un lieu-dit matérialisé par un panneau cabossé et deux ou trois maisons de bois dont l’activité des occupants restait un mystère.
[...] Des terres sauvages et inhospitalières.
[...] Des terres de bout du monde. Tellement loin des néons colorés de New York, tellement loin de chez moi. J’en étais malade.
[...] Des bleds à faire déprimer un représentant de commerce.
[...] Des contrées qui acculeraient un moine anachorète au suicide.
[...] Le genre d’endroit où le voisin le plus proche est le Bon Dieu 
On est bien au cœur du rayon nature writing, devenu à la mode et généralement garni d’auteurs américains.
Sauf que Patrice Gain est un gars bien de chez nous, un nantais devenu professionnel de la montagne.
Mais le frenchy montre ici qu’il sait écrire comme ses confrères étasuniens et d’ailleurs il s’en approprie avec élégance tous les clichés et fait même de son héros … un auteur new-yorkais ! Plus US writing, tu meurs, on s’y croirait.
Mais son style est peut-être plus proche de chez nous et ses petites phrases sèches font mouche. C’est très bien écrit.
Les clins d’œil humoristiques vont s’arrêter là car l’histoire qui nous est contée est âpre, violente et noire.
[...] J’avais l’effrayante sensation d’avoir été propulsé dans le film Shining.
Elle manquera d’ailleurs coûter la vie à notre héros qui devra même laisser un de ses deux bras ... à un ours.
Notre auteur dépressif en chaussures de ville va donc se retrouver à Valdez (oui, le bled de l’Exxon Valdez) pour servir de nègre à un politicard en campagne électorale.
Au détour d’une interview, il découvre ce qui aurait dû rester caché et les emmerdes vont commencer.
Le voyage touristique se transforme en cauchemar et le roman prend la couleur du noir.
Evidemment Dame Nature en Alaska n’est pas tendre avec les bipèdes inadaptés et quand notre héros n’est pas poursuivi par les ours, c’est par les sbires à la solde du politicard.
La brutalité des hommes et la sauvagerie de la nature se font écho :
[... Les gars débarquent ici] et moi je regarde la nature les prendre. Des fois j’aide un peu.
[...] Une nature traîtresse. Je me demandai combien de temps j’allais pouvoir tenir et quels types de combats j’allais encore devoir livrer.
Finalement, Terres fauves porte bien son titre.
Au début on pense parfois à David Vann (en moins prise de tête) et puis on oublie vite les américains pour se laisser trimbaler par notre frenchy.
On refermera le livre épuisé par ces aventures mais pas idiot puisqu’on aura découvert le jeu des US dans la course aux plus de 8.000 mètres (il n’y en a que quatorze dans le monde) et leur seule victoire, l’ascension du Gasherbrum I ou K5 ou Hidden Peak.
La véritable expédition, dans la vraie vie, a eu lieu en 1958 avec l’américain Nicholas Clinch.
Les sommets de plus de 8 000 mètres encore vierges faisaient l’objet de toutes les convoitises. Chaque État voulait le sien. Les Français furent les premiers avec l’Annapurna, il y eut ensuite les Anglais avec l’Everest, puis les Italiens, les Autrichiens, les Japonais, les Suisses. On ne voulait pas être en reste, pas une nation comme la nôtre. Des 8000, il n’y en a que quatorze. Il n’y avait pas de temps à perdre. 

Pour celles et ceux qui aiment le froid, les ours et la montagne.
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