samedi 6 janvier 2024

Uluhg Beg, l'astronome de Samarcande (Jean-Pierre Luminet)


[...] Cette œuvre grandiose : mesurer l’univers.

●   L'auteur, le livre (280 pages, 2015) :

Jean-Pierre Luminet est avant tout un homme de sciences, mathématicien et astrophysicien notamment, chercheur de renom dans plusieurs labos.
Mais c'est aussi un écrivain et un poète qui nous fait profiter d'une plume magique capable d'évoquer et de vulgariser ses sujets de prédilection de manière lumineuse (il porte bien son nom !).
Avec L'astronome de Samarcande il nous brosse une fresque tumultueuse qui réussit à concilier histoire des sciences et Histoire tout court : l'histoire d'Ulugh Beg, petit-fils de Tamerlan, qui fit construire le plus grand observatoire de l'époque (les années 1400) à Samarcande, capitale de la dynastie des Timourides.
Un de ces livres qui nous fait nous sentir plus cultivé quand on le referme. Une façon intelligente de voyager dans l'histoire et la géographie.
[...] — Les voyages, c’est comme les pistaches salées. Tu en prends une et après tu ne peux plus t’arrêter avant que l’assiette soit vide. 
— Voilà de la grande philosophie, mon ami !

●   On aime beaucoup :

❤️ On aime partager l'enthousiasme de l'auteur pour ces savants qui tentent de se mesurer aux étoiles. Même si l'on devine un ton un peu trop bienveillant envers cette époque un peu idéalisée mais sans doute pas aussi éclairée que notre regard occidental veut bien l'imaginer aujourd'hui. Une époque où l'on veut croire que l'islam et sa culture étaient encore illuminés d'une petite lueur, une dernière lumière qui n'allait pas tarder à se perdre dans les obscurantismes.
❤️ On aime la prose de Jean-Pierre Luminet qui sait nous emmener chevaucher nos montures sur les steppes d'Asie centrale comme il sait nous amener sur les chemins de la connaissance. Un juste et savant équilibre entre histoire, géographie, géopolitique, roman et histoire des sciences. On en profite pour redécouvrir ces régions méconnues d'Asie centrale tout comme nos grands classiques des mathématiques célestes, comme cet Al-Khwarizmi (père de l'algèbre et des algorithmes) né à Khiva en Ouzbékistan, tout près de Samarcande.

●    Le contexte :

Le tout début des années 1400 voit s'éteindre le grand Timur Leng (lointain cousin de Gengis Khan, Timur le Boiteux deviendra Tamerlan en occident) à la tête d'un immense empire qui s'étend de la Syrie jusqu'à l'Inde. Conquérant terrible (il faisait édifier des pyramides avec les têtes des habitants des villes qui avaient le malheur de lui résister, pour mieux terroriser ses prochaines conquêtes), il fut aussi un protecteur des arts et des sciences : il capturait et déportait les artisans et intellectuels des villes conquises jusqu'à sa capitale, Samarcande (dans l'actuel Ouzbékistan, la fameuse Transoxiane de l'Antiquité). 
[...] Tamerlan, le Grand Émir, avait un rêve : que Samarcande, sa cité, devînt la nouvelle Babylone. Alors, tel Nabuchodonosor deux mille ans auparavant, chaque fois qu’il s’emparait d’une ville, il choisissait parmi les vaincus ceux qui contribueraient, de gré ou de force, à la gloire et à la beauté de la capitale de Transoxiane.
À sa mort, la dynastie des Timourides connait encore quelques années de paix relative avec l'un de ses fils Chah Rukh, puis l'un de ses petits-fils : Ulugh Beg. Ce fut la période de la Renaissance Timouride, avant que l'empire de Tamerlan ne s'effondre dans les rivalités de clans.

●     L'intrigue :

Ulugh Beg était plus passionné par les astres que par le pouvoir. Il ne rêvait que de "cette œuvre grandiose : mesurer l’univers".
Après les conquêtes de Tamerlan, l'époque était relativement calme et propice aux arts et aux sciences sous l'égide de dirigeants éclairés.
[...] Des contrées où l’on sait faire la distinction entre la science et la religion, la foi et la raison, le monde physique et le monde divin. Dans la Chrétienté d’où je viens, cette distinction-là peut mettre votre vie en grand danger.
[...] Science et religion veillaient à ne pas empiéter sur le territoire de l’autre. Aux oulémas, la métaphysique, aux physiciens, la physique. Certes, la frontière était souvent délicate à déterminer.
Ulugh Beg appelle à ses côtés trois autres grands savants et astronomes Qadi-Zadeh, Al-Kashi et Ali-Qushji (tous ces personnages ont bien entendu réellement existé) pour construire un gigantesque observatoire avec un sextant de quarante mètres de rayon !
Ils réussirent quelques mesures de l'univers avec une précision extraordinaire pour l'époque, comme celle de la durée de notre année terrestre à quelques secondes près.
Hélas, cette période faste (du moins à nos yeux d'historiens occidentaux d'aujourd'hui) n'aura qu'un temps avant que guerres et religions ne reprennent bientôt leurs droits.
[...] — Notre temps est celui des forteresses et des mosquées, philosopha Hussein. Observatoires, madrasas et maisons de la sagesse ne peuvent s’élever qu’en temps de paix, sans remparts ni barbacanes.
[...] L’histoire des hommes ne reviendrait jamais à cette époque d’un Islam jeune et assoiffé de tous les savoirs du monde.
On referme le livre et cette aventure en relisant les vers d'Ulugh Beg, doux rêveur et poète :
[...] Les religions se dissipent, telle la brume du matin, 
Les royaumes s’effondrent, telle la dune sous le vent, 
Seule la science s’inscrit dans le bronze de l’éternité.
L'observatoire astronomique fut rapidement rasé dès que les oulémas prirent le pouvoir mais en 1908, des fouilles mirent à jour la fosse souterraine où s'enfonçait le gigantesque sextant [clic].

Pour celles et ceux qui aiment avoir la tête dans les étoiles.
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